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Les chefs de parti, les souverains, les grands ministres ont été attaqués et défendus avec un entrain, une vigueur, une passion et quelquefois une injustice tout actuelles. Charles-Quint, Richelieu, Mazarin, Louis XIV, sont devenus nos contemporains ; nous les accusons de nos malheurs, nous trouvons en eux le principe de nos désastres. Si l’esprit politique manque à notre nation, la faute en est à Richelieu. Si nous avons trop de penchant à être gouvernés à tout prix, la faute en est à Louis XIV. De même qu’autrefois, grâce à notre système d’impartialité, nous ne nous sentions avec le passé qu’une solidarité de bienfaits, nous commençons aujourd’hui à ne voir en lui que les germes des maux dont nous souffrons. Nous pensions volontiers que l’histoire avait eu pour mission de nous mettre au monde en accumulant pour nous à travers les siècles une riche moisson de bienfaits et de libertés ; aujourd’hui nous penserions presque qu’elle n’a eu d’autre mission que de grossir pour nous, avec chaque génération nouvelle, les fatales conséquences du péché originel. Nous faisons un peu subir à l’histoire, pour le quart d’heure, le traitement que les Italiens, au Xe siècle, firent subir au cadavre du pape Formose, lequel fut exhumé, jugé et condamné pour les crimes et trahisons qu’il avait commis alors que l’étincelle de la vie l’animait. Cette disposition actuelle à la partialité historique n’est pas particulière seulement à M. Michelet, elle est propre à tous les écrivains de tous les partis, depuis le parti ultramontain jusqu’au parti ultra-radical. Nous pouvons donc excuser M. Michelet du reproche de partialité : il ne fait que suivre en cela le courant qui nous entraîne tous ; tout ce qu’on doit lui demander, c’est que ses préférences ne le rendent pas volontairement aveugle, ne l’amènent pas sciemment à cacher la vérité. Or la passion peut bien l’emporter souvent au-delà de la vérité, jamais la perfidie froide et préméditée de l’esprit de parti. Sauf certains détails tels que ceux que nous avons relevés, sa partialité n’a d’ailleurs rien qui ne se puisse avouer. Ses conclusions sont celles qu’ont adoptées bien des esprits qui peuvent passer pour modérés et équitables. Il prend hardiment parti pour les réformés et regrette que le protestantisme n’ait pas triomphé au XVIe siècle. C’est une conclusion contestable si l’on veut, mais c’est la conclusion de bien d’autres. Il avoue sa préférence pour la renaissance sur la réformation : c’est une préférence qui a été celle de bien des hommes illustres depuis Érasme jusqu’à Voltaire. L’événement contre lequel il a déployé le plus de passion, c’est la ligue. Il a pris le contre-pied des paradoxes contemporains par lesquels a été réhabilitée cette machine meurtrière et de dangereux exemple, il a flétri comme elle le méritait cette première apparition de la canaillocratie sur la scène de l’histoire. C’est un service dont nous lui sommes reconnaissans