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comme on pourrait le croire ; c’est aussi un mérite de philosophe. Ceux qui aiment à rêver sur la nature humaine ont pu mille fois faire cette remarque, qu’une bonne partie de nos actions sont l’œuvre d’agens obscurs et indéfinissables que la psychologie n’a pas classés et ne classera jamais dans son catalogue des facultés de l’âme, agens qui semblent se confondre avec le principe même de notre vie et être unis aux formes essentielles de notre organisme. Il en est dans l’histoire comme dans la vie individuelle, et la moitié au moins des événemens découlent d’autres sources que celles que nous pouvons tous nommer : liberté, religion, droit et devoir, doctrines philosophiques. Si nous ne comprenons pas les chimères qui faisaient le tourment des âmes à telle époque, nous ne connaissons pas ces agens insaisissables dont j’ai parlé, qui varient avec chaque génération, et qui non-seulement engendrent une grande partie des faits historiques, mais encore leur donnent à tous leur forme et leur couleur originale. C’est là vraiment l’innovation historique de M. Michelet, innovation qu’il doit d’ailleurs en partie à sa nature Imaginative, qui lui permet de toucher, avec un tact de femme, à mille choses délicates qu’une raison plus mâle n’apercevrait jamais. Qui n’a lu son tableau du moyen âge, où le récit participe en quelque sorte du génie visionnaire de cette étrange époque ? C’est le chapitre des Guerres religieuses, consacré à l’Espagne, qui donne surtout une idée nette et précise de cet art de pénétrer ce que nous appelons la chimère des époques : sauf quelques injustices dans l’expression, jamais le génie de l’Espagne n’a été pénétré avec une telle finesse et une telle profondeur. Qu’on lise aussi le chapitre consacré à Genève, ce séminaire héroïque, si l’on veut saisir le caractère véritable de cette Rome du calvinisme. M. Michelet, si souvent hors de la raison lorsqu’il s’agit de juger une idée abstraite, fait preuve au contraire d’un bon sens plein de fermeté lorsqu’il s’agit de juger la valeur relative de tous ces occultes mobiles d’action qui entraînent les peuples à leur insu. Ainsi il ne se laisse pas éblouir par l’éclat menteur de l’Espagne du XVIe siècle, et il n’hésite pas à décerner à son génie le nom de romanesque. En regard de cet esprit romanesque, qui passe aux yeux de tous pour poétique, il place hardiment comme représentant de la poésie le protestantisme, que je ne sais quels honteux préjugés regardent comme un triomphe de la prose. Ces aperçus profonds, abondans et rapides, où palpite l’âme, de toute une génération, en disent plus long sur le sens des événemens que bien des savantes considérations historiques.

Cependant ce talent a ses défauts, défauts très accusés, très sensibles, et qui frappent tellement les yeux, que nous nous dispenserons d’insister. Le plus considérable, c’est le dilettantisme. M. Michelet semble prendre plaisir à l’histoire comme on prend plaisir à