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celui qui, dans le moment, le plus rapide, embrasse le plus d’objets ; la première impression est la plus large, celle qui trouve l’expression la plus forte et la mieux appropriée, sans vaine délicatesse, sans vaine subtilité. Ce phénomène s’est produit aussi au XVIe siècle. Le premier regard jeté sur la nature et sur le monde fut aussi le plus large et le plus vif. Les hommes d’alors n’eurent pas besoin de faire effort sur eux-mêmes pour inventer ; le premier lieu commun leur suffisait pour être éloquens et élevés. Rien non plus n’ayant encore été débrouillé, classé, rien n’étant connu en un mot, l’esprit n’était pas surchargé du fardeau des découvertes antérieures, et l’imagination, n’ayant pas dû céder, comme dans nos temps, la place à la mémoire (véritable maîtresse de toutes nos facultés, et qui nous défend de rien faire sans elle), pouvait se donner libre carrière dans le vaste domaine des conjectures et des hypothèses ; La curiosité n’était pas émoussée, et, au lieu de s’attaquer aux petites choses, elle s’attaquait au contraire aux grandes. D’un autre côté, sous l’empire des fortes émotions que faisait naître cette soudaine révélation du monde, sous le chaud rayon des premières lueurs de la civilisation nouvelle, les âmes s’éveillaient et s’ouvraient aiguillonnées d’une insatiable avidité de vivre et de sentir : de là les débordantes passions, les grandes vertus et les crimes gigantesques de cette époque. Il y avait encore assez de barbarie pour que les caractères n’eussent rien perdu de leur force primitive, il y avait assez de civilisation déjà pour que ces caractères pussent s’attacher à un but politique ou religieux digne d’être poursuivi. La grandeur du XVIe siècle apparaît surtout quand on le compare aux siècles suivans : dès qu’on entre dans le majestueux XVIIe siècle, on sent que la nature humaine s’est rapetissée, on respire moins librement, les conceptions sont moins profondes et moins larges, les sciences ont déjà subi une classification et sont désormais séparées de l’homme, l’art s’éteint et l’artifice apparaît ; les conventions sociales tiennent plus de place que les passions naturelles, et le règne de l’abstrait envahit le domaine de l’esprit. Adieu aux œuvres naïves, adieu aussi aux caractères ardens ! Voici venir les œuvres savantes et les caractères diplomatiques, dont la sécheresse et la froideur sont les vertus principales et estimées.

Mais le XVIe siècle n’est pas grand seulement parce qu’il a produit tant de glorieuses individualités et tant de hautes conceptions ; il est grand parce qu’il a lancé les deux mouvemens qui maintenant, jusqu’à la fin des temps, dirigeront sous des formes diverses les destinées humaines, et parce qu’on lui doit les deux découvertes les plus importantes que l’homme puisse faire : la découverte du genre humain et la découverte de l’individu. L’une de ces découvertes s’appelle renaissance, l’autre réformation. Nous ne pouvons essayer en