Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/670

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’origine par des individus et pour des individus, nullement à l’aide des masses et pour les masses. Les classes éclairées de l’Europe en profitèrent seules ; de là principalement cette impuissance absolue de la renaissance à former un parti, que M. Michelet déplore et que nous déplorons avec lui. Ce ne furent ni les principes, ni le souffle inspirateur, ni l’art et les ouvriers qui manquèrent, ce fut la matière première, autrement dit les masses populaires. Le peuple, qui comprit si vite et si bien les docteurs protestans, vit passer devant lui sans les comprendre, et la plupart du temps ignora même ces grands publicistes, ces artistes, ces philosophes et ces savans. Leurs enseignemens étaient pour lui et trop individuels et trop abstraits ; il n’y avait là rien de traditionnel et de familier. Aussi dès les premiers jours se tint-il fermement attaché au passé, et se partagea-t-il dans toute l’Europe entre les dépositaires antiques de la tradition, c’est-à-dire le clergé catholique, et les interprètes nouveaux de la tradition, c’est-à-dire les docteurs protestans. La victoire du protestantisme en Allemagne et en Angleterre, sa défaite en France sont des faits contradictoires en apparence seulement ; dans l’un et l’autre cas, c’est le même phénomène qui se produit, le triomphe de la tradition au moyen des classes populaires. Voilà la grande et véritable cause de la décadence prématurée de la renaissance. D’autre part, son génie, tout cosmopolite à l’origine et tout européen, dut se scinder à mesure que les années s’écoulèrent. Bien qu’elle doive peu de chose à la tradition, bien qu’elle soit surtout l’œuvre des individus, la renaissance, lorsqu’elle éclata à la fin du XVe siècle, fut en un certain sens cependant le produit du passé. Elle hérita de cet esprit général que la communauté de religion et d’institutions avait répandu au moyen âge chez toutes les nations de l’Europe ; elle fut la république des esprits, comme l’Europe du moyen âge avait été la république chrétienne. Mais lorsque les derniers liens de cette antique confédération furent brisés, l’idée de patrie domina désormais pour un temps celle de chrétienté, et par conséquent le génie de chaque peuple s’accusa plus vivement, d’une manière plus exclusive et plus égoïste. Au lieu d’un esprit européen, il y eut désormais un esprit italien, un esprit français, un esprit anglais, un esprit allemand ; l’ère des évolutions successives et partielles de la pensée humaine remplaça ce grand mouvement du XVIe siècle, si spontané, si universel, et le génie de la renaissance diminua en se scindant.

L’histoire de la renaissance peut se résumer d’un seul mot : ses conséquences intellectuelles, abstraites, scientifiques, furent immenses, son action politique fut à peu près nulle. M. Michelet constate le fait avec raison, et cependant nous devons faire ici une petite restriction. Nous ne pouvons constater exactement le rôle que