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chrétien, et pour s’en convaincre il suffit de jeter les yeux sur les origines et sur la doctrine particulière d’où elle sortit.

Quelle est cette doctrine ? La doctrine de la grâce. M. Michelet, qui depuis quelques années poursuit l’idée chrétienne de la grâce comme antipathique à l’idée de justice, et qui aime à opposer le christianisme à la révolution, rencontre cette doctrine sur son passage, et la rejette avec légèreté. « Ce ne fut pas, dit-il, un verset de saint Paul, un vieux texte si souvent reproduit sans action, qui renouvela le monde. » J’en demande pardon à l’éloquent historien, mais c’est précisément ce vieux texte interprété d’une manière profonde qui contient tout le secret des destinées de la réforme, et qui explique toute son histoire. Au fond, que signifie le verset la foi suffit sans les œuvres, sinon que les actes matériels comptent moins et doivent moins compter pour le salut de l’homme que la libre impulsion de l’âme et sa véritable nature ? Mais qui nous tiendra compte de notre nature cachée, si nous n’avons pas les œuvres apparentes ? Ce ne seront point les hommes, ce sera Dieu seul. Qu’est-ce que l’idée de la grâce divine, même sous sa forme la plus terrible, celle de la prédestination, si ce n’est un triomphe de la liberté ? L’homme soumis directement à l’action de la grâce divine n’a plus à compter sur le secours ou sur les entraves que peuvent lui apporter les hommes ; il n’a plus à espérer ni à redouter d’intermédiaire entre lui et Dieu, il est absolument libre du côté de la terre, et débarrassé de tous les esclavages mondains, il ne sent plus d’autre esclavage que celui de la volonté divine. Bien loin d’être illibérale (qu’on nous permette ce triste mot moderne), l’idée de la grâce est dans ses conséquences extrêmement favorable à la liberté, comme dans son principe elle est favorable à toutes les grandeurs de l’âme, à la résignation, à la patience, à l’héroïsme, à la constance du martyre. Si Luther, comme M. Michelet le remarque fort bien, eut cette belle joie héroïque qui brille dans ses paroles et dans sa vie, il la devait, croyez-le bien, surtout à son texte chéri : sa forte nature n’eût pas suffi à lui donner l’idée de la grâce ; cette idée fut le roc inaccessible contre lequel tous les accidens de sa vie vinrent se briser ; elle donna à son imagination violente et à son tempérament inquiet la sérénité qu’il n’aurait sans cela jamais connue ; elle lui donna enfin la confiance inaltérable dans son œuvre qu’aucun autre homme n’a jamais eue à ce degré. Vous étonnez-vous maintenant de ces conséquences de liberté civile et politique engendrées par la réforme ? Elles sont toutes contenues dans ce principe de l’action directe de la grâce divine dans l’homme sans le secours d’aucun intermédiaire, et dans la force de volonté et de constance qu’engendre le sentiment incessant de cette action sur nous.

Oui, ce fut bien ce vieux texte qui fit la fortune de la réforme,