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pour arrêter les Anglais, qu’il a même poussé l’insouciance jusqu’à leur permettre de retourner contre lui, en les fortifiant et en s’en faisant un rempart, les obstacles que la nature a amoncelés dans les montagnes qui séparent le nord et le sud. Certes nous admettons bien gratuitement à leur profit une ineptie qui n’est guère admissible de la part des Persans, aussi intelligens que braves. En tout cas, croit-on que ce soit avec un faible corps de 5,000 hommes que les Anglais pourraient, nous ne dirons pas s’emparer de la Perse, mais seulement s’y installer sur un point d’une manière solide ? Ce serait en conscience faire trop bon marché du patriotisme persan et des ressources militaires du châh. La Perse fût-elle prise au dépourvu par une attaque soudaine, l’invasion anglaise ferait certainement disparaître parmi les peuplades du royaume les dissentiment que les différences de race y entretiennent en temps de paix, et réunirait en un faisceau toutes les forces nationales. Que deviendrait la petite armée anglo-indienne, si elle se trouvait cernée de tous côtés, et que les communications avec ses vaisseaux fussent coupées ?

Il y a peut-être un autre plan dont les publicistes anglais ne nous ont pas fait la confidence, et qui consisterait, après avoir pris Bouchir pour centre d’opérations, à occuper la Suziane, aujourd’hui le Khouzistân, pour de là commander à tout l’Arabistân, principalement au pays qui borde la mer, et s’étend, en remontant le golfe, jusqu’au Chatt-el-Arab et à Bagdad. Ce plan ne surprendrait pas ceux qui connaissent ces contrées et qui ont assisté au cheminement lent, lais progressif de l’Angleterre. On peut le croire préparé de longue main, car voici bien des années déjà que les bateaux à vapeur que la compagnie des Indes entretient à Bassorah et à Bagdad ont exploré tous ces rivages, et que l’Angleterre prépare dans ces parages la domination qu’elle ambitionne. Grâce à ces bâtimens, il n’existe plus pour elle, depuis longtemps, de point inconnu, soit dans les eaux du golfe, soit sur le cours des deux grands fleuves qui se confondent et viennent y déboucher. Ce n’était même point assez des deux grandes artères qui forment la Mésopotamie et vivifiaient jadis l’opulente Chaldée : il fallait encore connaître tous les points attaquables, tous les côtés faibles, et pénétrer partout où les couleurs anglaises pourraient se faire voir. Dans cette intention, un bâtiment à vapeur se présenta, il y a quinze ou seize ans, à l’embouchure du Karoûn. Après avoir, non sans difficulté et à la faveur des hautes eaux, franchi la barre, il remonta jusqu’à Chouchter, la Suze de l’antiquité, qui est sur le bord du fleuve. Lorsque l’aventureux officier qui commandait ce bâtiment eut pris connaissance de la localité et des moyens d’y arriver, il voulut opérer son retour dans le golfe ; mais il trouva des difficultés plus grandes aux abords de la barre, qui cette fois faillit lui être fatale. Toutefois il avait