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moralité de ces pages, et M. Véron n’a écrit son livre, selon toute apparence, que pour dire ces quelques mots. Qui sert le mieux le gouvernement, de M. Véron, qui parle ainsi, ou de ses contradicteurs, qui, sans aller droit à la difficulté, l’attaquent parce qu’il a ainsi parlé ? C’est certainement M. Véron. La liberté, non la liberté licencieuse et violente, mais la liberté réglée par les lois, dirigée par un sévère sentiment moral, et invoquée un jour par l’empereur lui-même comme le couronnement de tout édifice social, — cette liberté a un grand mérité, elle fortifie le pouvoir qui s’appuie sur elle. La liberté politique mesurée selon les temps a un autre avantage : elle assainit l’air, elle donne un but aux esprits, qu’elle relève à la hauteur des nobles spéculations. Quand elle disparaît, les esprits, ou du moins une multitude d’esprits, se laissent aller à toute sorte de malsaines occupations. Ils ne touchent pas à la vie publique, aux hommes publics, il est vrai ; ils se tournent vers la vie privée, vers tout ce qui est du domaine le plus intime. On se repose de la fatigue de penser par la facilité de la diffamation et de l’injure. Il se propage on ne sait quel goût de travestissemens, de biographies équivoques, de divulgations hasardeuses qui ne respectent rien, et la morale publique n’est pas moins atteinte à coup sûr par ce travail injurieux appliqué à la vie privée que par une injustice dans la discussion des intérêts politiques.

C’est là un point que M. Véron a oublié de traiter dans son livre. Où en sommes-nous ? Cette question que l’auteur de Quatre ans de Règne s’adresse à lui-même en matière politique, on pourrait l’étendre et l’appliquer à d’autres faits. On ne connaîtrait point au juste certains phénomènes contemporains, si on ne voyait de temps à autre surgir quelques-uns de ces petits livres qui montrent comment certaines idées, filles des révolutions, survivent à travers tout, excellent à prendre toutes les formes, à saisir toutes les occasions de se produire, et en viennent à se croire inoffensives, parce qu’elles ne parlent plus le langage de la violence. Pourquoi des propriétaires à Paris ? Voilà une autre question qu’on se faisait récemment dans une brochure de quelques pages. Pourquoi des propriétaires à Paris effectivement ? pourquoi même des propriétaires en France ou ailleurs ? La propriété suppose du travail, de la prévoyance, elle est la source de mille ennuis. Elle met la haine entre celui qui possède et celui qui ne possède pas, elle crée l’antagonisme du locataire et du propriétaire. L’organisateur social inconnu a un remède bien simple pour tous ces maux. Il propose l’expropriation universelle de tous ceux qui possèdent à Paris. C’est la ville qui sera désormais l’unique propriétaire. Elle aura une légion d’architectes, d’entrepreneurs, de constructeurs. Les concierges seront élevés au rang de fonctionnaires publics. Les anciens propriétaires seront indemnisés au moyen d’obligations immobilières et seront ainsi délivrés de tout souci. Le prix des loyers baissera immédiatement, parce qu’il est bien clair que la ville de Paris se hâtera de mettre la main à l’œuvre et de loger chacun suivant ses ressources, et tout le monde sera content ! Ne dites point que c’est là un petit livre obscur, venu on ne sait d’où, écrit on ne sait par qui, et lancé un jour à l’aventure dans le tourbillon des billevesées humaines. Le mérite involontaire et très relatif de ce petit livre, c’est qu’il laisse voir cette tendance universelle à tout absorber, dans un pouvoir collectif anonyme, à chercher toujours un refuge dans l’état. Y a-t-il