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des officiers n’est point stimulée par la perspective d’un avancement rapide, d’honneurs militaires. La seule récompense qu’un bon et éminent serviteur puisse espérer de recevoir de ses chefs est un emploi civil ou d’état-major, qui ajoute 1,000 ou 1,500 roupies à sa solde de chaque mois. Sans doute l’argent est aujourd’hui chose précieuse, comme il l’a d’ailleurs toujours été ; nous croyons cependant qu’en faire presque exclusivement le prix du sang n’est pas le vrai moyen d’entretenir dans une armée les saines traditions militaires, et que si les troupes de la compagnie devaient un jour rencontrer des ennemis maîtres des secrets de la tactique européenne, on serait forcé de modifier un système dont les inconvéniens frappent tous les yeux, et dont le plus grave est sans contredit d’amener à la tête des régimens des officiers qui ont passé leurs années d’énergie dans les emplois civils, et qui, lorsqu’ils rentrent au corps après vingt et vingt-cinq ans d’absence, sont souvent incapables de faire manœuvrer quatre hommes sans un caporal.

Il nous reste à dire quelques mots du caractère public et privé des officiers de l’armée de l’Inde. Et à ce sujet, tout en parlant avec respect et sympathie d’un corps de braves gens qui a toujours noblement fait son devoir devant l’ennemi, qu’il nous soit permis de dire que l’histoire de l’armée de l’Inde, étudiée même a la surface, fournirait de nombreux et trop significatifs argumens à opposer aux philippiques contre la corruption française dont la presse de Londres a si longtemps et avec tant d’amour rempli ses colonnes ; mais l’héroïsme des soldats d’Inkerman et de Balaclava a fait apprécier à leur juste valeur de niais préjugés, et nous ne croirions pas faire acte de bon Français et d’écrivain sensé en entamant, ne fût-ce même que d’apparence, la ritournelle usée de l’air de l’anglophobie. Aussi, passant au plus vite du sérieux au comique, demanderons-nous au lecteur la permission de lui raconter une petite anecdote fort authentique, qui donne une juste idée du mélange d’égalité et de hiérarchie qui caractérise les rapports des officiers anglais entre eux. La scène se passe à la mess d’un régiment d’infanterie. Il est dix heures, la table est présidée par le major A…, et le claret circule librement. Sous l’excitation du rouge liquide, l’enseigne B… se laisse entraîner à d’interminables discours, et le major A… le rappelle à l’ordre en ces termes : Hold your tongue, sir (taisez-vous ; littéralement : tenez votre langue, monsieur.) Immédiatement l’enseigne B… fait sortir un énorme bout de langue rouge de ses lèvres vermeilles, le saisit entre l’index et le pouce, et demeure imperturbable au port de la langue comme s’il eût été au port d’armes, à la grande joie des convives et à la plus grande colère du major A… Sur la requête de ce dernier, une cour martiale fut convoquée, et