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écouter le chantre du Rhodope. Le plus beau pourtant, c’est qu’à la fin il fut déchiré par un ours malhonnête.

Ipse sed ingrato jacuit laceratus ab urso.

Quel magnifique dénoûment et quelle agréable plaisanterie ! Ces représentations fournissent au poète des réflexions piquantes. Dédale ayant été, à la fin de son rôle, livré à une bête féroce, Martial s’écrie finement : « Ah ! Dédale, en ce moment tu voudrais bien avoir eu tes ailes ! » Les faits héroïques de l’histoire romaine n’étaient pas oubliés dans ces tableaux, ou plutôt dans ces drames et ces meurtres vivans. Domitien faisait représenter au naturel l’action de Mucius Scévola livrant sa main aux flammes. Ici Martial célèbre les vieux temps, bien inférieurs, il est vrai, à ceux où il vit, « car, dit-il, ce qui fut la gloire de l’âge de Brutus est un spectacle et un jeu dans l’arène de César. »

Pour reposer de ces drames pathétiques, il y avait des intermèdes. On voyait paraître dans l’amphithéâtre toute sorte d’animaux féroces apprivoisés par les mansuetarii, dont l’industrie avait devancé les merveilles qu’on admirait il y a quelques années à Paris. C’étaient des léopards sous le joug, des tigres qui recevaient patiemment des coups de fouet, des cerfs souffrant le mors, des ours la bride, des sangliers la muselière, enfin des éléphans qui dansaient. Les animaux eux-mêmes figuraient dans des représentations mythologiques. On fit servir un taureau à mettre en scène d’une manière complète l’aventure de Pasiphaé, et Martial transporté s’écria : « O César, tout ce que chante la renommée, tu le trouves dans ton amphithéâtre ! » J’en suis bien fâché, mais voilà les souvenirs du Colisée. Heureusement le Colisée est une ruine, et une admirable ruine. Il faut oublier tout ce qui s’y est passé, excepté la constance des martyrs, et le contempler comme un objet naturel, comme une montagne, comme quelque chose de grand et de pittoresque qui n’aurait point d’histoire.

Chaque siècle a fait tour à tour l’essai de sa barbarie sur ce monument, qui n’a résisté que par sa masse et son immensité. Le Colisée a été une forteresse au moyen âge, à l’époque de la renaissance une carrière où l’on est venu chercher des pierres pour bâtir des palais ; il a même été un magasin, car Sixte-Quint voulut le transformer en manufacture de laine et placer des boutiques sous les arcades : on ne ferait pas mieux de nos jours. Clément XI y établit une fabrique de salpêtre. Il n’est pas vrai que ce soit la religion qui l’ait conservé, et c’est bien tard qu’on s’est avisé d’en faire un lieu de dévotion. Benoît XIV, le premier, a eu cette idée au XVIIIe siècle. Néanmoins les profanations de la plus grande ruine de l’antiquité romaine continuent de