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et d’arbres fruitiers assez mal venus, était divisé en petits compartiments, dont le buis dessinait les contours anguleux. Une tonnelle, un banc de bois et quelques peupliers encore jeunes, en complétaient la décoration.

Ce petit domaine était connu dans le pays sous le nom de la Maison-Blanche. Il pouvait bien avoir en tout une étendue d’un demi-arpent ; mais, la porte de son jardin passée, le propriétaire de la Maison-Blanche avait autour de lui des promenades à fatiguer les jambes d’un écolier. Une grande prairie le séparait de la Seine ; le parc de Maisons, avec ses bois épais, était là-bas, derrière la tonnelle, et plus loin, fermée par un grand mur qui court sous un bouquet d’ormes et de tilleuls, la forêt de Saint-Germain.

L’hôte de la Maison-Blanche était alors un jeune homme qui pouvait avoir une trentaine d’années et qu’on appelait Georges de Francalin. Le personnel de la maison se composait d’une vieille servante qui répondait au nom de Pétronille, grondait toujours, d’un vieux domestique grisonnant nommé Jacob, qui ne parlait jamais, et d’un chien de chasse de la race des épagneuls à robe blanche et feu : tout le monde à Maisons connaissait Tambour.

Quel motif avait pu engager Georges de Francalin à prolonger son séjour à Maisons bien au delà du moment où chacun s’empresse de regagner Paris ? C’est ce que personne ne savait. Était-ce pour échapper à l’agitation fiévreuse qui tourmentait alors la France entière ? Avait-il été ruiné, comme tant d’autres, à la suite des événements de février ! Cette retraite avait-elle pour cause un malheur domestique ou quelqu’une de ces infortunes printanières qui font verser tant de larmes, et dont plus tard on se souvient en souriant ? Jacob aurait peut-être pu le dire ; mais Jacob, on le sait, ne parlait pas. Georges était arrivé à la Maison-Blanche vers la fin d’avril avec Pétronille, Jacob et Tambour. Trois ou quatre grandes caisses remplies de livres l’avaient suivi ; il avait acheté un canot, un fusil, des vareuses, tout cet attirail de chasse et de pêche sans lequel les jours à la campagne peuvent paraître longs, même les jours d’hiver, et bientôt on avait vu s’élever dans le bûcher une pile de bois propre à braver les neiges de décembre et les pluies de janvier.

On sait qu’à Paris un changement de domicile met dans les relations des barrières plus infranchissables que n’en mettait jadis entre les Capulet et les Montaigu la haine héréditaire de deux familles : en partant pour la campagne, Georges était donc parti pour l’exil. Deux ou trois de ses amis se souvenaient seuls qu’il habitait Maisons. Il vivait avec Tambour et causait avec ses livres. Ses habitudes étaient les plus régulières du monde ; il ne savait jamais la veille ce qu’il ferait le lendemain. Il se couchait tard ou tôt, selon le temps, un