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à leur insu, et en abordant sur le rivage ils virent Tambour qui, pour distraire son ennui, guerroyait contre les vaches qu’on menait à l’abreuvoir.

— Ah ! mon Dieu ! s’écria Georges, pourvu que mon ami n’ait pas suivi le chien !

Mme Rose le regarda gaiement.

— Voilà un ami qui vous fait grand’peur, dit-elle.

— Oh ! je l’aime beaucoup, » dit Georges, qui venait de s’assurer par un coup d’œil de l’absence de Valentin.

Il siffla Tambour, qui laissa là ses vaches et vint tout courant se jeter sur Mme Rose.

— Ah ! madame, reprit Georges, il faudra que vous vous y fassiez. À présent qu’il vous met au nombre de ses connaissances, il ira partout vous dire bonjour.

Mme Rose caressa le chien et prit le bras du maître.

L’ombre était venue quand M. de Francalin quitta Mme Rose. Il ne lui semblait pas qu’il eût passé plus d’une heure avec elle. À son retour, il aperçut Valentin, qui se promenait devant la Maison-Blanche à pas précipités. Le bout de son cigare brillait comme un phare. On voyait qu’il fumait avec rage.

— Ah ! te voilà ! cria Valentin, qu’un bond de Tambour avait surpris dans sa promenade. Et ce peuplier sous lequel tu paraissais si impatient de t’asseoir, l’as-tu trouvé ?

— Je t’ai fait attendre ? répondit Georges.

— Attendre !… c’est-à-dire que voilà trois heures que je n’attends plus !

Georges passa son bras sous celui de Valentin.

— Voyons, ne te fâche pas, reprit-il ; qu’aurais-tu fait chez le curé ?… Et puis il y a des heures où j’ai besoin d’être seul. C’est une manie. Est-ce que ça ne te prend jamais, ces idées-là ?

— Oh ! si ! répondit Valentin d’un air tragique.

— Eh bien ? faisons une convention. Quand l’un de nous aura ses humeurs noires, il mettra une feuille d’arbre à son chapeau. La feuille mise, il sera en quarantaine. Nous économiserons ainsi les frais d’explication. Cela te va-t-il ?

— Cela me va. Seulement tu aurais dû penser à la feuille plutôt.

— Les bonnes idées ne viennent pas tout de suite. Ainsi c’est convenu : la feuille arborée, c’est la cocarde du silence et de l’isolement. Si je la mets quelquefois, tu ne te fâcheras pas ?

— Oh ! ne te gêne pas ; je la mettrai souvent. Dès demain j’en aurai une, et je vais la cueillir.

Le lendemain matin Georges et Valentin ne purent s’empêcher de sourire en se regardant : ils avaient tous deux une feuille d’arbre attachée