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au loin les mugissements. La table était dressée dans une petite pièce qui donnait sur la prairie et qu’éclairait un gai soleil. Pétronille s’était surpassée dans l’ordonnance du menu, et Jacob avait trouvé des fleurs pour égayer le service. Pendant le déjeuner, Georges se montra plus embarrassé que Mme Rose. Mille choses lui venaient aux lèvres qu’il ne disait pas. Il était heureux, mais inquiet ; il lui semblait que les aiguilles de la pendule en marchant lui dérobaient une part de son bonheur. Le repas fini, ils visitèrent ensemble le jardin et la maison. La bibliothèque surtout les retint longtemps. Elle était ouverte au jour de tous côtés ; l’éclat du feu pétillant se mêlait aux rayons du soleil qui entrait joyeusement par les fenêtres. Mme Rose avisa dans un coin, au-dessus de la cheminée, un portrait de femme en médaillon. Elle le prit et l’examina.

— C’est une bien jolie femme, dit-elle.

— Je l’ai cru quelque temps, répondit Georges.

Il s’empara du médaillon que Mme Rose avait posé sur la cheminée et le jeta dans le feu.

Tout le visage de Mme Rose devint rouge. Elle avança la main pour le retirer ; Georges la saisit.

— Il est trop tard à présent, dit-il.

Il sentait que la main de Mme Rose tremblait entre les siennes, tandis que la flamme dévorait le médaillon ; elle la dégagea doucement et regarda par la fenêtre, ne sachant comment dissimuler son trouble. Georges gardait le silence. Il s’était fait comprendre tout d’un coup, en quelque sorte malgré lui, et craignait de parler, de peur d’offenser sa compagne. Ils restèrent ainsi l’un près de l’autre quelque temps, immobiles et tremblants. Tambour, qui jouait entre eux, les poussait gaiement de son museau ; ils le caressaient quelquefois de la main, mais évitaient de se regarder.

— Voilà que le soleil se couche, dit enfin Mme Rose.

— Déjà ! s’écria Georges naïvement.

Ils retournèrent à Herblay par le même chemin qu’ils avaient pris pour venir, et Tambour fut encore du voyage.

— Au revoir, dit Mme Rose doucement quand elle fut devant sa porte.

Georges descendit la côte d’Herblay en bondissant. Lorsqu’il fut au bord de la rivière, il se retourna et vit au loin dans la nuit une lumière qui brillait à la fenêtre de Mme Rose.

— Ah ! dit-il à demi-voix, elle m’aimera peut-être un jour…. peut-être m’aime-t-elle déjà !

Il sauta dans son canot et le laissa descendre au fil de l’eau ; il regardait le ciel plein d’étoiles ; il avait le feu dans le cœur ; il lui semblait qu’il avait vingt ans.

— Oh ! hier ! oh ! mes chagrins ! où êtes-vous ? dit-il.

À quelque temps de là, il reçut un billet de Valentin, dont il n’avait