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pas eu de nouvelles depuis son départ de la Maison-Blanche. Par ce billet orné de quelques plaisanteries sur l’amour de Georges pour la solitude, Valentin prévenait son ami qu’il se proposait de lui rendre visite le lendemain avec quelques personnes de ses amies, et qu’on lui demanderait à déjeuner. Un post-scriptum plus long que le billet ajoutait que Mathilde serait de la partie. Elle avait désiré faire la connaissance de M. de Francalin, et Valentin n’avait rien eu de plus pressé que de céder à ce vœu.

— Pourquoi n’y a-t-il pas deux Mathilde sur la terre ? Tu serais heureux ! disait-il en finissant.

Georges sourit et donna ordre à Jacob de tout préparer pour le déjeuner ; mais le lendemain, quand Pétronille lui demanda où il faudrait dresser le couvert, l’idée que tout ce monde tapageur et vagabond s’abattrait dans cette même pièce que Mme Rose avait traversée lui devint tout à coup insupportable ; il lui sembla que ce serait une profanation, et que rien ne pouvait l’excuser. Tout ce bruit, tous ces rires, toutes ces chansons, ces robes de soie équivoques, ces dentelles frelatées dans cette maison où la chasteté avait laissé son parfum, révoltaient sa pensée. Son cœur en avait comme le dégoût. Il appela Jacob et lui cria de courir au Petit Havre, et d’y retenir bien vite la chambre la plus grande. Pétronille fut invitée à renverser ses fourneaux et à transporter tout le produit de sa science dans la cuisine de l’auberge. « Après quoi, reprit-il, vous fermerez la porte, et, si l’on vous interroge, vous direz que je ne rentrerai pas de quinze jours, parce que les cheminées fument. »

Pétronille gronda, Jacob obéit sans répondre, comme c’était son habitude, et Georges alla bravement se poster sur la grande avenue de Maisons pour attendre ses convives, qu’il mena tout droit à l’auberge.

— Quoi ! ce n’est pas chez toi que nous allons ? dit Valentin.

— La cuisine est en réparation.

— Bon ! tu nous feras voir la bibliothèque.

— Les maçons l’ont ravagée.

— Alors nous nous promènerons dans le jardin.

— Il est tout effondré.

Valentin regarda Georges sournoisement.

— Je vois ce que c’est, reprit-il, la solitude demeure à la Maison-Blanche.

— Écoute, répondit Georges en pressant le bras de Valentin avec un accent où le rire se mêlait à la colère, tu as du vin de Bordeaux et du vin de Champagne, des volailles exquises et des pâtés délicieux ; bois et mange ; mais si tu me parles encore d’elle, ici surtout, il faudra que je te tue, aussi vrai que tu es mon ami.

— Je te comprends, répliqua Valentin en regardant Mathilde. C’est comme moi, tu aimes !