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soins que Saint-Simon pour signaler leurs empiétemens dans le domaine des affaires d’état ; personne n’a consacré une érudition plus piquante à montrer comment les légistes, introduits aux parlemens par les barons à titre de secrétaires, ne tardèrent pas à s’y asseoir comme conseillers, et comment, après s’être émancipés de leurs maîtres, ils finirent par faire sortir du fait de l’enregistrement un droit souverain de vérification. Ainsi, repoussant d’une part les états-généraux, liés dans l’histoire à des souvenirs que sa fidélité désavoue, haïssant de l’autre les parlemens de la haine d’Alceste pour Oronte, trouvant sa plus douce jouissance à voir le chancelier et les magistrats parler à genoux devant le prince, « en témoignage perpétuel de la bassesse de leur condition, » Saint-Simon ne sait quelle digue élever contre l’omnipotence dont il déteste les effets sans en répudier jamais le principe, parce qu’il est à la fois et le plus indiscipliné des hommes et le plus monarchique des sujets. Dévoré du besoin de participer aux affaires publiques et tout plein de la crainte d’ébranler l’édifice de l’autorité royale, ayant devant lui l’aristocratie anglaise au comble de la grandeur, parce qu’elle est un pouvoir sans être une caste, et la grandesse espagnole alors écrasée sous le pied d’Alberoni parce qu’elle n’a qu’un rang sans puissance, lui aussi bâtit Chalcédoine avec le rivage de Byzance devant les yeux, et s’efforce de rattacher la pairie créée par lettres-patentes à la pairie féodale, dont l’existence remontait au berceau de la monarchie. Il identifie quelques hommes de cour revêtus par les derniers rois du titre de ducs et pairs avec des princes dont la souveraineté directe sur leurs propres vassaux ne fut jamais contestée par leur suzerain ; il altère enfin les faits avérés afin de changer le caractère de cette création récente, dont le but principal, ne dit pas sans quelque raison Boulainvilliers dans son rude langage, fut « de détruire l’égalité naturelle entre gentilshommes, et de venir en aide à l’œuvre des anoblissemens en attaquant à la fois la noblesse par la tête et par la queue[1]. »

Les cours souveraines avaient assurément des titres plus spécieux pour remplacer les parlemens de Philippe-Auguste et de saint Louis que les favoris de Henri III et de Louis XIII pour se porter héritiers des ducs de Bourgogne et de Normandie. Aucune attribution propre n’appartenait d’ailleurs à la pairie ; elle tenait de sa participation facultative aux séances du parlement ses seuls pouvoirs effectifs, et l’argumentation qui allait à dénier tout caractère politique à celui-ci ne portait pas moins sur elle-même. Bien loin d’user de ses prérogatives judiciaires, celles-ci lui paraissaient d’ailleurs parfaitement

  1. Histoire de l’ancien Gouvernement de la France, avec quatorze lettres sur les états-généraux. La Haye, 1727, tome II, p. 165.