Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/862

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on ne sait comment, à la connaissance de Zorzi, celui-ci voulut en profiter pour se venger de l’homme éminent qui était le plus opposé au parti de la révolution. C’est alors qu’il chercha à s’emparer du chevalier Sarti, dont la passion pour la fille du sénateur Zeno pouvait faire un instrument précieux entre les mains des meneurs. Beata, après cette nuit d’angoisse et d’inexprimables félicités, était tombée dans un abattement de sinistre augure. Aucune illusion n’était plus possible pour son âme désolée. La volonté de son père et, plus encore, le spectacle de sa douleur lui enlevaient tout espoir de se soustraire à la rigueur de son sort. Dominée par un sentiment profond qui l’avait envahie tout entière et qu’elle savait désormais inconciliable avec la piété filiale, il ne lui restait plus qu’à se résigner au sacrifice de ses espérances. La vie se fermait devant elle. Son rêve de bonheur s’était dissipé au contact d’une réalité poignante, et de quelque côté qu’elle dirigeât ses regards, elle n’apercevait qu’un avenir désenchanté et plein de ténèbres.

Nulla fugae ratio, nulla spes, omoia muta,
Omnia sunt déserta, ostentant omnia letum.


« Point de salut, point d’espoir ! Partout le silence, le désert, la mort[1]. »

Cependant une douceur secrète lui restait au fond du cœur, celle de se savoir aimée ! Lorenzo avait tout bravé pour la voir, il avait tout risqué pour lui sauver l’honneur ! Rassurée, dès le lendemain, sur le sort de son amant, qu’elle savait hors de danger, Beata trouvait dans le souvenir de cette entrevue suprême un charme qu’elle ne pouvait définir. Elle pardonnait au chevalier Sarti jusqu’à ses propositions téméraires, jusqu’au baiser qu’il avait imprimé insolemment sur ses lèvres endormies, tant la femme est indulgente pour tout ce qui lui révèle le désir de la posséder ! Son âme naïve et vierge de tout grossier désir avait conservé comme un frémissement plein de volupté de l’étreinte où l’avait tenue, pour la première fois, celui qui avait grandi à ses côtés comme un frère adoré. Accoudée sur le balcon et la tête entre ses mains, il lui semblait entendre encore la voix de Lorenzo lui racontant l’épopée divine de l’amour, évoquant de son imagination, nourrie de la lecture des poètes et des philosophes, les rêves d’or du genre humain et lui apprenant à lire dans le grand livre des cieux, où les âmes bienheureuses chantent les louanges du souverain maître de la vie et de la mort. — Ces fictions de la fantaisie inspirée, ces imagés de béatitude venant illuminer, les ténèbres d’une nature imparfaite et misérable, ne seraient-elles pas en effet des pressentimens d’un monde mystérieux promis à nos désirs infinis, et se dévoilant chaque jour davantage à nos faibles

  1. Catulle.