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légumes frais ; je lui disais dans un de mes rapports : « 100,000 fr. dépensés en légumes frais, c’est 500,000 fr. d’épargnés sur les frais que suscite l’entrée des malades aux hôpitaux. « Vers la fin de notre séjour, on avait fait des jardins potagers dont on a pu récolter les primeurs. Ces jardins promettaient de grandes ressources pour l’avenir, si nous avions dû rester plus longtemps dans un pays dénué de tout. Je m’étonne qu’on n’ait pas approvisionné l’armée avec de la choucroute, dont la conservation est si facile. Les lentilles ont été rares, les haricots abondans.

Les acides végétaux, c’est-à-dire les pommes, les citrons, les oranges, faisaient défaut. Les acides sont, comme on sait, anti-scorbutiques. Les Anglais recevaient par ration du jus de citron conservé en barriques ; ils en faisaient des grogs en y ajoutant du rhum et du sucre. Nos ambulances et nos infirmeries régimentaires en ont bien été pourvues vers la fin de la campagne ; mais les expériences, quoique donnant de bons résultats, ne furent pas assez prolongées pour être absolument concluantes. Les médecins anglais accordent au jus de citron une grande vertu anti-scorbutique ; c’est à lui en grande partie, disent-ils, que l’armée anglaise a dû d’être préservée du scorbut pendant l’hiver de 1856. Le jus de citron conservé est depuis longtemps apprécié par les marins comme anti-scorbutique ; ils en embarquent dans les voyages au long cours.

La soupe est par excellence l’aliment du soldat, mais la qualité de la soupe dépend beaucoup du cuisinier. Chaque soldat fait la cuisine comme il monte sa garde, à tour de rôle ; c’est un tort. Dans le même régiment, telle compagnie mange de mauvaises soupes et telle autre de bonnes. En général, les officiers de l’armée de terre ne se préoccupent pas assez de ces détails, qui sont importans, car la première condition de la santé, c’est la satisfaction de l’estomac. En Crimée, les troupes qui ont le mieux résisté aux privations et aux fatigues étaient celles que commandaient des colonels soigneux de leurs soldats. Voici un exemple : de deux régimens partis du camp de Saint-Omer à la même époque, arrivés ensemble en Crimée (au mois d’octobre 1855), campés à côté l’un de l’autre, ayant subi les mêmes vicissitudes atmosphériques et fait un service pareil, l’un avait conservé, au 1er avril 1856, 2,224 soldats sur un effectif de 2,676 hommes ; l’autre, sur un effectif de 2,327 hommes, n’en comptait plus que 1,239. Dans ce compte, il n’est question que des maladies et non des blessures de guerre. — Dans l’armée navale, le commandant du vaisseau surveille la composition du repas de l’équipage, et de plus il respecte religieusement l’heure du déjeuner et celle du dîner ; jamais elle n’est retardée, avancée ou interrompue. Il faudrait souhaiter que les mêmes scrupules pénétrassent dans l’armée