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Il est défendu, (le croirait-on ?) de gratter les parquets, les bancs et les tables de peur, de les user. Pourquoi la caserne ne serrait-elle pas tenue aussi proprement qu’un vaisseau ? Pourquoi des parquets, cirés et frottés par les soldats, ne remplaceraient-ils pas le carrelage si défectueux des chambrées ? Ce luxe est parvenu enfin à s’introduire dans les hôpitaux militaires malgré les résistances de la routine. Il peut entrer dans nos casernes, et quand il y sera, on se demandera avec étonnement pourquoi une réforme si utile a tardé si longtemps.

Les abris de l’armée d’Orient étaient de diverses sortes. À défaut de maisons, on se procurait des habitations plus primitives. En Crimée, il y avait des huttes, des tentes-abris, des tentes coniques. Les huttes, que les soldats appelaient des taupinières, étaient creusées à un mètre au moins de profondeur ; c’étaient des carrés longs de sept mètres, larges de trois, hauts de deux mètres et demi. Le sol et les parois étaient garnis de pierres, quand on pouvait s’en procurer. On élevait des murs au-dessus du sol avec de jeunes branches tressées qu’on recouvrait d’une épaisse couche de terre argileuse ; sur ces murs se plaçait une toiture à double pente composée des mêmes matériaux. Un ou deux troua pratiqués dans la toiture donnaient passage à la lumière. S’il venait à pleuvoir, on les bouchait avec du gazon. Partout où le combustible manquait, ces huttes étaient dangereuses à habiter. Les Piémontais, qui habitaient des huttes, ont fourni beaucoup de malades. En revanche, la division cantonnée dans la forêt de Baïdar ne pouvait trouver de meilleures habitations, parce qu’ayant du bois en abondance, elle faisait du feu jour et nuit. Rien ne réjouit autant qu’un grand feu de bivouac ; le bois en campagne, c’est la moitié de l’existence. Pendant qu’il se chauffe en plein air, le soldat échappe aux émanations de l’habitation en commun ; de même, avec du feu, il peut se bien porter dans une hutte. Un jour à venir peut-être il faudra compter avec les rhumatismes ; mais à la guerre on n’est pas si prévoyant.

J’ai visité un camp russe. Toutes les troupes vivaient dans des huttes construites de même, mais beaucoup plus longues et plus larges que les nôtres et enterrées plus profondément, avec des morceaux de papier huilé en guise de vitres. Le bois étant devenu rare, l’atmosphère, non purifiée par le feu, y était : lourde, humide, nauséabonde ; le scorbut et le typhus s’y répandirent.

C’est le maréchal Bugeaud, on le sait, qui a trouvé l’ingénieux système de la tente-abri, faite avec le sac de campement du soldat. Il a remplacé les coutures du sac par des boutonnières, et l’on peut ainsi le convertir à volonté en une pièce de toile carrée. Quand on a boutonné ensemble deux sacs ainsi déployés, on les maintient, avec