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d’un mur de pierres sèches, il faut l’abattre dès qu’arrivent les beaux jours. C’est une faute d’enterrer les tentes à une certaine profondeur pour les rendre plus chaudes ; elles sont alors difficiles à purifier et humides. En Crimée, dans un certain nombre de tentes, le sol a été boueux pendant tout l’hiver.

Pour se coucher, chaque soldat doit, aux termes du règlement, recevoir une botte de paille tous les quinze jours ; il est bien rare en campagne que ce règlement soit exécuté. Peut-être vaudrait-il mieux remettre à chaque homme un morceau de toile imperméable dont il ferait un manteau quand il pleut et un préservatif contre l’humidité de la terre pendant les nuits de bivouac. La peau de mouton, qu’on a donnée au lieu de botte de paille, s’imprègne d’humidité, la conserve, et propage la vermine. Les ambulances et les infirmeries régimentaires avaient des planchers mobiles et des espèces de lits de sangle. Après la prise de Sébastopol, quelques colonels couvrirent le sol des tentes avec des morceaux de bois rapportés de la ville ; on le couvrait aussi avec des claires-voies faites de branches de noisetiers, dont la forêt n’était pas avare.

Le camp du 81e régiment était un vrai modèle d’installation. Les tentes, très espacées, s’alignaient sur de larges rues en pierre, bordées de sapins qu’avait plantés le régiment. Elles étaient toujours ouvertes pendant le jour, et contenaient un lit de camp circulaire dont les planches articulées étaient relevées dans la journée contre les parois et se rabattaient le soir à l’heure du coucher. La plus grande propreté y régnait. Rien ne faisait défaut. On voyait même à l’entrée des décrottoirs faits de sabres brisés. Dans l’infirmerie, le régiment, avec ses seules ressources, avait improvisé cinquante lits ; des ventouses bien ménagées renouvelaient l’air, et une bonne cheminée entretenait une chaleur de 14 à 16 degrés centigrades. La visitant à l’improviste, j’y trouvai le colonel, M. de Clonard, qui présidait à une distribution d’oranges achetées pour les scorbutiques. Sous un hangar, j’ai compté trente ou quarante pièces de vin mises en réserve pour les jours de grande fatigue. Des champs d’orge, de blé, de pommes de terre, étaient ensemencés pour les besoins communs ; on avait même fabriqué au bivouac des charrues à la Dombasle ! Chaque jour, la musique du régiment faisait entendre des airs joyeux sur une belle esplanade plantée d’arbres par les soldats et ornée d’un joli café rustique. Sur le front de bandière se déployaient de petites cases en pierre ; les boîtes de légumes conservés avaient fourni la toiture et s’étaient même façonnées en tuyaux de poêle : c’étaient les cuisines des compagnies. M. de Clonard a su faire tourner au profit de son régiment les milliers de bras qui étaient à sa disposition quand la guerre les laissait inoccupés ; il a su éloigner la