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« Ce qui manque, ce sont les légumes frais. C’est à l’absence de légumes frais, au froid humide des habitations, aux nuits d’insomnie passées dans les tranchées, qu’est due l’apparition du scorbut, dont l’armée se débarrasse si difficilement. Pour suppléer au défaut de légumes, il faut envoyer en abondance des conserves juliennes, les meilleures de, toutes les conserves légumineuses pour l’usage du soldat ; de la choucroute, des pommes de terre et des oignons. Des graines pour ensemencer des jardins potagers, surtout des graines de radis, devraient être distribuées aux compagnies… Il conviendrait de pourvoir les ordinaires de condimens, clous de girofle, poivre long, muscade, feuilles de laurier. Le thym est ici abondant ; je le recommande pour aromatiser la soupe… Des chargemens de citrons et d’oranges, dirigés sur la Crimée, seraient nécessaires pour combattre et même pour prévenir les affections scorbutiques. Les acides végétaux font depuis longtemps défaut à l’armée d’Orient… »


J’avais adressé copie de ce rapport au maréchal Pélissier et à l’intendant général de l’armée, M. Blanchot. Dans la réponse que l’intendant général m’adressa, il me disait : « J’ai vu avec satisfaction que la plupart des mesures hygiéniques que vous recommandez sont celles qui s’exécutent… Nous allons même plus loin que vos désirs en ce qui concerne les vêtemens : vous pensez qu’il serait difficile de pourvoir toute l’armée de chaussons ; je suis heureux de pouvoir vous dire que, dès que l’hiver sera venu, chaque soldat aura non-seulement une paire de chaussons, mais encore une paire de bas de laine et une paire de guêtres bulgares. » Mes observations hygiéniques concordaient parfaitement, on le voit, avec les projets de l’intendant général de l’armée. La suite de ces études montrera aussi que mes appréciations médicales et chirurgicales n’ont pas cessé d’être sanctionnées également par le ministre de la guerre et par le maréchal commandant l’armée d’Orient. On ne se fera jamais une trop haute idée des services que la science médicale peut rendre à une armée en campagne, de l’influence qu’elle peut exercer sur les vicissitudes d’une guerre. Ses conseils, qui ne sont pas toujours demandés ni écoutés tant que la souffrance et la mort n’en font pas cruellement sentir l’utilité, sauveraient bien des hommes qui perdent ou compromettent par imprudence une vie dont le pays a besoin. Conserver ses soldats, transportés à grand’peine, est le premier intérêt d’une nation qui fait une guerre lointaine ; c’est aussi le meilleur gage d’un succès définitif. Les maladies tuent plus d’hommes que le fer et la poudre, et il est souvent facile de les prévenir par de simples précautions hygiéniques.


L. BAUDENS.