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Nous voilà donc fixés sur les portions de mer où les parties belligérantes ne peuvent se combattre sans violer les droits des neutres. En dehors des étroites limites qui viennent d’être indiquées, tout navire ennemi est de bonne prise. Les navires toutefois ne sont pas les seules propriétés ennemies que l’on puisse trouver en mer : il y a encore le chargement. Or ici se présentent trois cas : ou le navire et la marchandise sont également ennemis, et alors point de difficulté, l’un et l’autre sont de bonne prise, ou le navire est ennemi et la marchandise neutre, ou enfin le navire est neutre, et la marchandise ennemie. C’est sur ces deux derniers cas que le droit maritime a varié jusqu’à la déclaration du 16 avril 1856.

D’après le Consulat de la Mer des Catalans, compilation des lois et usages qui, dans le moyen âge, réglaient la matière, la marchandise neutre restait neutre dans toute position, et la marchandise ennemie restait ennemie également dans toute position. Ainsi le pavillon neutre ne couvrait pas la marchandise ennemie, mais en revanche la marchandise neutre ne pouvait pas être saisie, quoique sous pavillon ennemi[1]. La première modification à cette règle se trouve dans un traité de 1417, entre Henri V, roi d’Angleterre, et Jean sans Peur, duc de Bourgogne : il stipule que la marchandise neutre sera de bonne prise sous un pavillon ennemi. En 1543, une ordonnance de François Ier, allant beaucoup plus loin, régla que la présence de marchandises ennemies abord d’un navire neutre entraînerait la confiscation de la marchandise neutre qui pourrait aussi s’y trouver, et même celle du navire. Ces dispositions sauvages se retrouvent dans l’édit sur la marine de 1584. Ce fut la Hollande qui la première introduisit le principe d’après lequel le pavillon couvre la marchandise. On conçoit de quelle importance était ce principe pour des gens qui étaient alors les facteurs du commerce de l’Europe : il fut d’abord admis entre la Hollande et la France par le traité du 18 avril 1646, mais pour quatre ans seulement, puis alternativement repoussé ou admis de nouveau, toujours à court terme, jusqu’au traité d’Utrecht, depuis lequel il fut toujours maintenu dans nos rapports avec les provinces néerlandaises. Dès 1650, ces provinces l’avaient d’ailleurs fait admettre par l’Espagne dans un traité qui établissait (art. 13) que la marchandise hollandaise serait de bonne prise sur les vaisseaux ennemis de l’Espagne, et qu’en revanche (art. 14) les marchandises des ennemis de l’Espagne ne seraient pas saisissables

  1. D’après le chap. 276 du Consulat de la mer, on pouvait forcer un navire neutre chargé de marchandises appartenant à l’ennemi non-seulement à livrer ces marchandises, mais même à les transporter en lieu de sûreté à la charge de payer le fret.