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Ce fut dans la guerre de 1756 que l’Angleterre enfanta la monstrueuse doctrine du blocus fictif, c’est-à-dire du blocus que les neutres seraient tenus de respecter, quoique n’existant que sur le papier. On voit que la Russie fit en 1780 bonne justice de cette prétention, renouvelée dans la guerre d’Amérique et remise depuis en avant dans la guerre contre la France républicaine, que l’Angleterre semblait vouloir mettre au ban des nations.

Nous voici arrivés aux guerres et à la diplomatie de la révolution. Dans cette période de confusion, la France, provoquée par des excès inouïs, fut réduite à chercher à se défendre par les mêmes armes que l’on employait contre elle. Il résulta de cette lutte des énormités qui plongèrent le droit maritime dans une barbarie pire que tout ce que l’on avait vu jusqu’alors. Les Anglais ayant empêché plusieurs navires neutres chargés de grains à destination de France d’entrer dans nos ports, le gouvernement républicain riposta par la loi du 9 mai 1793, qui autorisa les bâtimens de guerre et les corsaires français à arrêter et à conduire en France les navires neutres chargés soit de comestibles à destination ennemie, soit de marchandises ennemies. Les dernières devaient être confisquées, et les comestibles payés sur le pied de leur valeur, y compris le fret. Le cabinet anglais riposta par l’ordre de conduire dans les îles britanniques les neutres qui se trouveraient dans ce même cas à l’égard de la France ; mais ce qui établit une immense différence morale entre la conduite de l’Angleterre et les représailles de la France, c’est que la première présentait ses actes comme parfaitement légitimes contre une nation qui, selon elle, ne méritait aucun ménagement, et que l’on devait affamer si l’on pouvait[1], tandis que le gouvernement français ne donnait les siens que pour ce qu’ils étaient, c’est-à-dire pour des représailles. En effet, il existe un arrêté du 14 messidor an IV (2 juillet 1796) qui notifie aux neutres que le pavillon de la république en usera envers eux comme ils souffriront que l’Angleterre en use à leur égard. Malheureusement pour nous, l’avantage dans cette lutte n’était pas de notre côté, tant à cause de l’infériorité de notre matériel maritime que par les fâcheuses conséquences de l’émigration, qui nous avaient fait perdre nos meilleurs officiers de mer. On crut alors en France qu’on pourrait faire indirectement à l’Angleterre, en proscrivant l’introduction et la vente de ses marchandises, le mal que nous étions impuissans à lui faire directement. Cette proscription fut prononcée par la loi du 10 brumaire an IV (31 octobre 1796), point de départ de ce fameux blocus continental qui reçut plus tard une si colossale et si fâcheuse extension. Cette première loi eut pour corollaire

  1. Cette horrible doctrine est textuellement avouée dans une note du 17 juillet 1793 remise par le ministre anglais à Copenhague au comte de Bernstorf, qui y répondit très noblement.