Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/938

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tion économique de l’Angleterre est encore aggravée aujourd’hui par la misère qui affame des masses d’ouvriers, et les jette dans les rues de Londres sans travail et sans pain.

N’est-ce point un trait des plus caractéristiques ? Au sein des prospérités réelles ou apparentes, il survient parfois un fait qui montre ce qu’il y a d’inquiétant, d’irrégulier ou de fragile dans ces vastes déploiemens extérieurs de là force d’un peuple, qui laisse apercevoir des faces obscures et moins rassurantes de la civilisation moderne. On invoque souvent la statistique pour montrer la richesse dans son essor, et la statistique ne peut mieux faire que d’offrir complaisamment ses chiffres grossissans. Quelquefois aussi la statistique se charge elle-même de rectifier des chiffres par des chiffres et de les opposer les uns aux autres, en laissant les esprits en suspens devant tous ces problèmes de l’économie publique : c’est ce qui vient d’arriver en France à l’occasion du dernier recensement de la population. De toute façon, il est bien clair que le développement de la population se ralentit en France. En 1846, le recensement présentait un accroissement de près de 1,200,000 âmes dans la période quinquennale qui expirait ; en 1851, l’augmentation tombe à près de 400,000 âmes ; en 1856, elle n’est plus que de 257,000. Plus de cinquante départemens ont vu diminuer leur population dans ces cinq années. L’Isère perd 26,000 âmes ; la Haute-Saône a perdu 36,000 habitans, assez pour peupler une grande ville, et d’après ce calcul la Haute-Saône devrait avoir aujourd’hui un député de moins. La diminution est de 25,000 âmes dans la Meuse, de 7,000 dans l’Oise, de 4,000 dans la Somme, de 10,000 âmes dans les Basses-Pyrénées, de 15,000 âmes dans l’Ariège, de 5,000 âmes dans la Manche, de 3,000 âmes dans l’Aisne. Ce ne sont là que des chiffres, peu faits pour passionner, et qui n’ont, si l’on veut, aucun caractère politique. Tels qu’ils sont, ils ont plus d’importance peut-être qu’un fait politique ; ils ont eu assez de gravité pour retentir à l’Académie des Sciences morales, où cette question du dénombrement de la population a été soulevée par M. de Lavergne ; ils ont été discutés au sein de la Société d’économie politiques. Dans les départemens surtout, les esprits commencent à se préoccuper de cette décroissance, qui atteint principalement les campagnes, et dont les progrès deviennent sensibles d’année en année. Un député des Basses-Pyrénées, M. O’Quin, sans généraliser ses recherches, en se bornant au contraire à son pays, a publié des études minutieuses, pleines d’observations précises, et telles qu’il serait utile d’en faire dans chaque département.

La guerre, les épidémies qui se sont succédé, les émigrations peuvent sans doute avoir leur part dans ce ralentissement de la population ; mais en dehors de ces faits, dont quelques-uns sont accidentels et d’autres purement locaux, comment expliquer ce phénomène, qui apparaît avec un caractère trop général et trop permanent pour n’être pas dû à des causes plus profondes ? Si ce n’était qu’un effet de cette loi bien connue qui tend à maintenir ou à rétablir un certain équilibre entre là population et les moyens d’existence, rien ne serait absolument extraordinaire. La population, étant moins nombreuse, jouirait d’une plus grande aisance. En est-il ainsi aujourd’hui ? N’est-il pas sensible au contraire que depuis quelques années une misère d’une espèce particulière sévit de toutes parts ? Les difficultés de vivre s’accroissent. On multiplie les preuves de l’augmentation inouïe de la ri-