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forcé de l’avouer, la cupidité a tenu bon, elle a fait tête contre tous ses adversaires ; mais sa défaite et sa mort ne sauraient tarder, car voici contre elle un nouvel ennemi qui lui assène de rudes coups. Ni M. Ponsard, ni M, de Beauplan n’avaient songé à traiter le côté comique des nouveaux enrichis. M. Dumas fils, en écrivant la Question d’Argent, s’est préoccupé du ridicule négligé par ses devanciers, et tous les hommes de goût lui en sauront gré. La comédie en effet, telle que l’entendent les moralistes de nos jours, devenait lugubre à force de vouloir se montrer sérieuse. Elle prêchait, elle enseignait, et trouvait à grand’peine dans une soirée trois ou quatre mots plaisans. M. Dumas fils, dont la gaieté ne s’était pas encore révélée d’une manière éclatante, paraît aujourd’hui décidé à ne pas séparer l’enseignement de la raillerie. Il a pris le bon parti, et je m’empresse de l’en féliciter.

La Dame aux Camélias, Diane de Lys et le Demi-Monde sont plutôt des drames que des comédies. Dans la Question d’Argent, la ferme volonté de frapper le ridicule en même temps que le vice donne à l’ouvrage entier un double attrait. Cependant je ne pense pas que la Question d’Argent obtienne le même succès que le Demi-Monde. Ce n’est pas qu’il y ait dans le nouvel ouvrage moins de talent, moins d’esprit ; seulement le talent et l’esprit ne sont pas aussi heureusement employés. Je rends pleine justice aux intentions comiques de l’auteur, je crois très sincèrement qu’il a compris son sujet beaucoup mieux que M. Ponsard ; mais en écrivant la Question d’Argent il s’est trop souvenu du Demi-Monde, et comme il se proposait de peindre un monde sérieux, régi par le devoir, par les traditions, par les affections de famille, l’obstination de ses souvenirs a jeté de la confusion dans le tableau qu’il vient d’achever. Si tous les éloges prodigués au Demi-Monde sont l’expression de la vérité, si tous les personnages de cette comédie sont dessinés d’après nature, comme l’affirment les initiés, il est difficile d’accepter comme des portraits fidèles, toutes les figures réunies dans la Question d’Argent. Entre le demi-monde et le monde sérieux, il n’y aurait donc que l’épaisseur d’un cheveu ; franchement je répugne à le croire. Ceux qui traitent avec un dédain superbe tout ce qui s’appelle devoir, obligation morale, qui sourient, lorsqu’on parle du respect des aïeux et des leçons données aux vivans par les morts, ne peuvent ressembler aux esprits timides qui sont encore infatués de ces vieilles idées. La différence morale qui les sépare doit se traduire dans leurs discours, et je crains que M. Dumas ne soit pas assez vivement pénétré de cette vérité. Il paraît penser que, dans le monde des honnêtes gens comme dans le demi-monde, l’esprit sert d’excuse et de passe-port aux idées les plus dangereuses, à celles même qui blessent tous les cœurs délicats. C’est une méprise que je suis obligé de signaler, et qui explique pourquoi la Question d’Argent, malgré la sympathie bien légitime qui entoure l’auteur, n’a pas été accueillie avec autant de faveur que le Demi-Monde. Il y a des plaisanteries fort spirituelles qui sont déplacées dans la société des honnêtes gens, et qui sont applaudies dans une société où le luxe et le plaisir tiennent le premier rang. M. Dumas a trop de bon sens pour le contester, mais il écrit comme s’il l’ignorait. Ses premières études ont peut-être duré trop longtemps. Maintenant qu’il s’est résolu à tenter des études nouvelles, le souvenir des modèles qu’il voudrait oublier ne lui permet pas de peindre fidèlement les modèles d’une autre nature qui posent devant lui. Réussira-t-il à se dégager ? pourra-t-il