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comme ils devraient le faire, je m’empresse de reconnaître qu’ils sont heureusement inventés, et demeurent fidèles au caractère que l’auteur leur a prêté, ce qui n’est pas, à mon avis du moins, un médiocre mérite. J’avouerai que je n’ai pas réussi à deviner ce qui a déterminé le choix du titre imposé à cette comédie. J’aurais compris : Monseigneur l’argent ; je ne comprends pas : la Question d’argent. C’est une expression qui ne devrait pas quitter les études de notaire. Que les pères de famille discutent la question d’argent quand ils marient leurs enfans, c’est un terme consacré ; dans la comédie nouvelle, je ne vois rien de pareil. Je n’aperçois qu’une course au clocher vers la richesse. Ce n’est là pourtant qu’un détail sans importance, et si je l’ai signalé, c’est que M. Dumas réussit habituellement à nommer les choses d’une façon claire, intelligible pour tous. Je reviens aux personnages.

René représente le désintéressement ; il n’est pas riche, et ne souhaite pas la richesse. Les principes qui gouvernent sa vie ne sont pas contagieux. C’est ce qu’on appelle dans le monde un original. Un modeste revenu suffit à ses besoins, et jamais il ne songerait à l’augmenter par le travail, si le bonheur d’une affection partagée ne le tentait comme une légitime ambition. Assez riche pour vivre seul, il est trop pauvre pour soutenir une famille, et le travail, je veux dire le travail lucratif, qu’il avait d’abord dédaigné, devient pour lui un devoir impérieux. Si son langage se maintenait à la hauteur de son caractère, René prendrait place parmi les meilleurs types du théâtre moderne ; malheureusement il lui arrive plus d’une fois de laisser échapper des railleries qui semblent inspirées par la paresse plutôt que par un sentiment de dignité personnelle. Un homme qui embrasse le travail avec ardeur pour ne pas s’enrichir par un mariage ne devrait jamais donner à penser qu’il confond le loisir avec l’oisiveté. Cependant René a réuni de nombreux suffrages, et c’était justice.

Durieux exprime fidèlement ce mélange ridicule de défiance et de crédulité que la bourgeoisie appelle tantôt habileté, tantôt bonhomie, et qui n’a pour les esprits sensés qu’un seul nom : niaiserie. Pour rattraper trente mille francs qu’il a perdus à la Bourse dans une spéculation qui dépassait les bornes de son intelligence, il confie cent cinquante mille francs à un homme qu’il connaît depuis quelques jours et qui ne lui offre aucune garantie. Puis, à peine engagé dans une affaire dont il ne sait pas le premier mot, il s’inquiète, il s’étonne, il s’attache comme une ombre à celui qu’il prenait tout à l’heure pour son sauveur : il espérait s’enrichir, il craint d’être dépouillé. Ce personnage, dont le type n’est pas difficile à rencontrer, fait honneur à M. Dumas, qui l’a très nettement dessiné. Il est si vrai, qu’il dessillerait bien des yeux, si la fièvre de l’or n’enflammait l’imagination et ne troublait le bon sens de ceux mêmes qui par la médiocrité de leurs facultés semblaient prémunis contre un tel danger.

Jean Giraud le financier, qui sert de pivot à la comédie entière, tient à la fois du portrait et de la caricature. Tant qu’il demeure dans la vérité, tant qu’il parle de ses millions avec orgueil, avec ivresse, et propose à ceux qui l’écoutent de les enrichir, comme s’il voulait se faire pardonner sa richesse, il intéresse l’auditoire, et ses moindres paroles sont recueillies avidement ; mais quand il exprime lui-même sur son compte la pensée qu’il devrait éveiller tout en l’ignorant, quand il prend plaisir à signaler ses ridicules, il sort