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Quoi qu’il en soit, il paraît que les éditions publiées du vivant de l’auteur portent réellement : la Thébayde par M. de Racine. Cette question de gentilhommerie intéresse peu la gloire de l’auteur de Phèdre. Une autre discussion, plus sérieuse et plus amusante, est celle qui roule sur ce malheureux page de Jocaste, presque aussi célèbre que celui d’une complainte populaire trop connue : Geoffroy s’en est longtemps diverti ; M. Aimé Martin a cru devoir le rétablir dans son édition de Racine comme un trait curieux d’anachronisme. Or qu’y a-t-il de vrai dans tout cela ? C’est que le page en question est de l’invention des éditeurs et des acteurs. « Le plus ancien, dit spirituellement M. de La Rochefoucauld, est né trente-six ans après la mort de Racine. » Il a donc bien le droit d’en répudier la paternité. Une fois en veine de réfutation, l’infatigable critique ne s’arrête plus : armé de sa terrible édition princeps, il met à néant toutes les objections, les chicanes grammaticales soulevées contre Racine, et démontre, preuves en main, que la plupart du temps les éditeurs semblent s’être donné le mot pour altérer le texte, afin d’avoir plus tard à le corriger. Tout en vengeant la gloire de son cher poète, il n’oublie pas non plus ses devanciers. Ainsi, à propos d’Esther, il répare une grosse ignorance de La Harpe et une petite ingratitude de Racine, en rappelant que ce même sujet, si attaqué au XVIIIe siècle, avait été déjà traité non-seulement par Du Ryer, mais par un autre vieux rimeur assez estimé de son temps, Antoine de Montchrétien. Pour être juste envers tout le monde, M. de La Rochefoucauld aurait pu rappeler aussi qu’une tragédie latine d’Athalie avait été jouée quelques années auparavant au collège des jésuites. Loret en fait mention dans sa Muse historique. Les variantes d’Athalie, les observations de l’Académie sur cette pièce et le discours prononcé par Fénelon au sein de cette savante société pour en provoquer l’examen terminent la première série de ces documens inédits ou peu connus.

Avec le second volume, nous arrivons aux Études morales. Ces études ne sont guère plus l’œuvre d’un moraliste proprement dit que les Études littéraires ne sont celle d’un critique de profession. Cependant elles ont leur valeur ; elles forment pour ainsi dire les confidences de Racine, l’histoire intime de ses pensées les plus secrètes, même de celles qu’il n’a jamais avouées tout haut. De bonne heure Racine s’était composé un petit cours de morale privée que venaient grossir incessamment ses lectures et les leçons de l’expérience. Dès l’âge de quinze ans et demi, il écrivait en tête de ce recueil confident de toute sa vie : « O mon esprit, la matière est assez belle,… mais dans quelle navigation étrangère t’engages-tu ? » Cri de colombe solitaire et plaintive qu’on croirait échappé à l’un des auteurs de l’Imitation. Son âme tendre et mystique s’abreuve aux sources les plus pures de la philosophie et de la religion, les conciliant l’une et l’autre sans effort et sans violence. « L’âme a besoin d’un philosophe… » Elle garde sa douce sérénité, transparente et limpide comme ce beau lac de Port-Royal auprès duquel s’écoula son enfance. Dans cette même enceinte, un autre élève des solitaires avait senti s’éveiller les premiers orages de sa pensée. Racine n’a jamais connu comme Pascal ces rudes combats de la raison et de la foi, ces effroyables terreurs de la justice divine, ni ce mépris superbe et désolant de l’humanité. Il croit à la bonté de Dieu : « Si Dieu était auteur du mal, il ne serait plus Dieu. » Il croit à la bonté de l’homme : « L’homme n’est pas méchant. »