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moins n’y serez-vous pas seule, » disait-il. Il ajoutait que je recevrais de ses nouvelles prochainement. Je n’ai pas perdu une minute pour regagner Paris, où je n’ai pu trouver aucune trace de l’arrivée de M. de Réthel ; comprenant bien que toutes mes recherches seraient inutiles, je me suis rendue à Herblay. Je ne croyais pas y revenir de sitôt. J’ai bien des sujets de tristesse, et cependant je ne sais quel mouvement de joie m’a fait tressaillir quand j’ai découvert les noyers du village et le toit de ma maison. »

Georges remarqua avec chagrin que le visage de Mme Rose portait la trace des épreuves qu’elle subissait depuis déjà longtemps. Elle devina ce qui se passait en lui et sourit. « La campagne me remettra, » dit-elle.

Dès le jour même, elle avait revu Canada, la Thibaude, Jeanne et le petit Jacques, qui lui demanda des nouvelles de son grand ami. « Il m’a promis de me mener à la guerre, dit-il d’un air déterminé, je n’entends pas qu’il m’oublie. »

Mme Rose l’embrassa. « Il m’a chargé de voir comment tu courrais, » répondit-elle. Et, prenant des oranges dans un panier, elle les jeta au loin dans une prairie. Jacques s’élança à la poursuite des oranges, et Tambour courut après Jacques. Les rires des enfants qui se roulaient dans l’herbe et les aboiements joyeux du chien remplissaient la campagne.

« Ah ! je me sens renaître ! » dit Mme Rose.

On était alors en plein été. Le bleu du ciel était éclatant ; la rivière prenait le soir des teintes magnifiques. Mme Rose voulut revoir tous les coins qu’elle avait parcourus ; elle était comme un voyageur qui revient dans sa patrie après une longue absence. Elle était allée prendre du lait dans cette ferme ; elle avait cueilli des fraises dans ce taillis ; elle avait lu tout un matin au pied de ce saule ; c’était là que la pluie l’avait surprise un soir d’hiver ; en passant sur cette berge, un coup de vent avait emporté son mouchoir, que Tambour avait été chercher dans l’eau. Le plus petit brin d’herbe lui semblait beau. La première fois qu’elle mit le pied sur la Tortue, elle fut prise d’une joie folle.

Un jour elle s’avisa de rassembler tous les enfants pauvres dont les mères travaillaient aux champs et de les mener chez la Thibaude, qui était blanchisseuse de son état.

« Eh ! mère Thibaude, lui dit-elle, voilà des petits que je vous confie…. Gardez-moi tout ça et donnez leur une bonne miche de pain pour leur goûter.

— Eh ! bonté du ciel ! où voulez-vous que je le prenne, ce pain-là ? dit la mère Thibaude, qui aimait les enfants, bien qu’elle eût la main brusque.

— Donnez toujours, répondit Mme Rose ; le boulanger est de mes amis, et c’est moi que cela regarde. »