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Quand elle vit tous les enfants rassemblés autour d’un grand panier rempli de morceaux de pain jusqu’au bord, Mme Rose battit des mains et voulut qu’on ajoutât une grande jatte de lait à ce régal. Les enfants se pressaient autour d’elle comme des poussins.

« Je prétends que chaque jour il y en ait autant, dit-elle ; ce qui restera sera pour votre peine, mère Thibaude. »

Tout compte fait, c’était un petit revenu bien clair pour la blanchisseuse.

« Ce sont encore vos distractions d’autrefois qui recommencent, dit Georges.

— Ah ! répondit Mme Rose, si je dois quitter ce pays, je veux au moins que mon souvenir y reste. »

Malgré le mouvement qu’elle se donnait et les retours de gaieté qui la faisaient rire pendant ses longues courses, on voyait bien qu’une pensée constante préoccupait Mme Rose ; elle ne manquait jamais de demander à Gertrude si le piéton n’avait rien apporté pour elle. Elle cherchait souvent dans les journaux un nom qui ne s’y trouvait plus. Le silence de Canada lui faisait croire que le pêcheur savait quelque chose. Elle l’interrogea.

« Dame ! répondit Canada, on m’a raconté que M. de Réthel était à Paris.

— On vous l’a raconté seulement ? » dit Mme Rose.

Canada cligna de l’œil en regardant de côté et d’autre d’un air embarrassé.

« Voyons, poursuivit Mme. Rose, est-ce bien à moi que vous cacherez la vérité ?

— Eh bien ! dit le pêcheur vaincu, je puis vous dire à vous, mais à vous seulement, qu’il est venu ici un jour ou deux après votre retour ; il a vu Tambour aussi, qui l’a parfaitement reconnu, bien qu’il eût une blouse comme un ouvrier. Il s’est caché pour vous regarder, tandis que vous vous promeniez au bord de l’eau. M. de Réthel était pâle à faire peur. Il m’a fait jurer de l’aller voir là-bas s’il me faisait appeler, et m’a glissé deux ou trois pièces d’or dans la poche, comme c’est son habitude. »

Mme Rose prit entre ses mains les rudes mains de Canada, et attachant sur lui ses yeux humides :

« Me promettez-vous, en retour de l’amitié que je vous ai toujours montrée ainsi qu’à tous les vôtres, de me prévenir s’il vous appelle ? »

Canada se mordait les lèvres en hésitant : « C’est manquer à ma parole, dit-il.

— Je suis sa femme et je vous en prie, reprit-elle.

— Eh bien ! je vous le promets…. Puis-je donc oublier que vous m’avez donné du pain quand je n’en avais pas ? »

Vers la fin de la semaine, Canada parut un matin à Herblay. « J’ai une lettre de M. de Réthel, dit-il ; la voici. » Et il tira mystérieusement un papier du fond de sa poche. Cette lettre, très-brève,