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au prix de tout leur butin. C’est dans cet équipage que Sâr regagna l’Italie, ridiculement dévalisé et battu après tant de fanfaronnades et de promesses sans effet.

Constantin, sorti de Valence, reprit sa marche le long du Rhône. Il croyait avoir au moins une bataille à livrer avant d’arriver devant Arles, car l’armée qui gardait cette métropole était assez nombreuse pour en défendre les approches ; mais il se trompait : Liménius et Chariobaude ne l’attendirent point. Soit qu’une terreur panique se fût emparée d’eux après la déconvenue de Sâr, soit qu’ils ne se fiassent qu’à demi à la fidélité de leurs soldats, les deux représentans d’Honorius jugèrent à propos de mettre à couvert en leurs personnes la dignité de l’administration romaine : ils s’embarquèrent inopinément pour l’Italie. Ce départ, trop semblable à une fuite, devint le signal de grands excès dans les murs d’Arles et de plusieurs autres villes de la province. Les familiers du préfet, les partisans déclarés du gouvernement central, les serviteurs dévoués de l’empereur Honorius, furent chassés et pillés, quelques-uns même perdirent la vie. L’évêque d’Arles eut peine à sauver la sienne. Signalé à la défaveur publique pour son attachement à la maison de Théodose, il se vit expulsé de son siège par une émeute des habitans et banni de la ville. Celui d’Aix, plus malheureux encore, fut assailli dans son église et massacré. L’effervescence gagnait de proche en proche, et la province aurait eu à déplorer les plus grands maux, si les troupes prétoriennes, privées de leurs chefs, n’eussent mis fin à l’anarchie en faisant leur soumission au tyran. Entré dans la métropole des Gaules au milieu d’acclamations universelles, l’ancien manipulaire des légions de Bretagne alla s’installer au palais des césars, sous ces voûtes fatales qui avaient abrité jadis Maximien Hercule et Fausta.


III

Arles, bâtie au-dessous de la bifurcation du Rhône, était alors une ville riche et populeuse. Le principal bras du fleuve la coupait en deux parties, du nord au midi, ou plutôt elle formait deux villes distinctes, l’une s’élevant en pente douce sur les rochers de la rive gauche, l’autre s’étendant à plat dans la grande île créée par les atterrissemens du Rhône. Celle-là était la cité gauloise et gallo-romaine, colonie de la sixième légion de Jules-César et embellie par les monumens des empereurs païens ; celle-ci devait sa fondation au premier empereur chrétien. Un pont de bateaux les reliait l’une à l’autre à travers le fleuve. Vers l’extrémité occidentale de la vieille ville, un château fortifié dressait sa masse imposante de briques et