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eussent à représenter sur la toile, le premier la Mort de Coligny, le second Mathieu Molé aux Barricades, que les élèves de David acceptassent par hasard quelque besogne semblable, aucun de ces artistes ne se mettait fort en peine de préciser les conditions particulières et la physionomie de son sujet. Au milieu de la toile, le héros debout et parfaitement immobile, pour faire contraste avec la turbulence des groupes environnans ; au premier plan, quelques énergumènes à demi nus, variantes plus ou moins heureuses des types fournis par la statuaire, et dans le fond, des bras ou des piques s’agitant de manière à rompre les lignes horizontales de la composition : voilà le programme pittoresque dont les termes avaient été fixés un demi-siècle auparavant, et que bien des gens suivaient encore avec une pieuse docilité, lorsque le tableau peint par M. Delaroche vint faire justice de ces conventions académiques. Il serait superflu de décrire une œuvre que la gravure a depuis longtemps popularisée. Tout le monde a pu apprécier par ses yeux la vraisemblance de la mise en scène, l’énergie sans excès de la pantomime, et ce caractère de probabilité en toutes choses qui distingue la Mort du président Duranti. Il est toutefois un autre genre de mérite que le burin n’a réussi qu’incomplètement à s’assimiler, et l’examen de la toile même peut seul révéler certaines qualités d’exécution dont les premiers ouvrages du peintre aussi bien que le travail du graveur n’offrent qu’un assez vague pressentiment.

Jusque-là en effet on pouvait reprocher au dessin et au coloris de M. Delaroche une correction un peu superficielle. Rien d’absolument inexact dans la forme, rien de tout à fait faux dans le ton, mais rien aussi qui exprimât à fond la vérité et l’émotion ressentie par l’artiste. Quelque chose de prudent jusqu’à la froideur, d’impartial jusqu’au scepticisme, alourdissait la pratique et en affaiblissait l’accent. Ici, au contraire, le dessin est ferme et facile, la couleur sobre, mais non sans souplesse, et le modelé fin de quelques morceaux, — de la tête de Duranti entre autres, — atteste la volonté de serrer de près la nature. Enfin l’extrême habileté, avec laquelle sont traitées les étoffes, les fourrures, et en général tous les accessoires, achève de mettre en relief la scrupuleuse véracité de ce pinceau. Ailleurs, il est vrai, cette habileté pourra dégénérer en ostentation de dextérité, cette imitation soigneuse des objets inanimés empiétera sur d’autres études ; mais dans la Mort du président Duranti l’expression des réalités secondaires n’a que l’importance qui convient. C’est en face de la Mort d’Elisabeth qu’on sentira l’abus de la méthode, et que le regard sera comme étourdi d’une sorte de fracas pittoresque. M. Delaroche heureusement n’était pas homme à se méprendre longtemps. En dépit des applaudissemens qui accueillirent, au salon