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physiologique employée par l’auteur à un point de vue un peu différent. Les nations naissent et croissent à peu près comme le corps humain. Celui-ci, soumis au tourbillon vilal[1], grandit et se développe en perdant à chaque instant quelque chose de sa substance, mais en gagnant plus qu’il ne perd. Il résulte de là que tout ou presque tout en lui est changé au bout d’un temps donné, et cependant l’individualité persiste. Que l’enfant soit robuste et vivace, et les alimens, quelque nombreux et variés qu’on les suppose, viendront prendre place sans peine dans cet organisme, toujours le même malgré ses transformations incessantes. Tel est le spectacle offert par ces petites bourgades qui devinrent la ville éternelle. Dès le début, et bien plus encore à partir de l’expulsion des Tarquins, Rome déploie une individualité caractéristique. Il n’y a plus dans ses murs d’Ibères, de Galls, de Rhasènes ; il n’y a plus que des Romains, et tout ce qu’elle s’adjoint revêt rapidement le même caractère. Qu’importe dès-lors que ses élémens premiers viennent à disparaître ou à s’effacer ? L’avenir est assuré.

Cependant, comme tout ce qui a vie sur terre, Rome devait vieillir et mourir. À qui s’enquiert des causes de cette décadence et de cette fin, M. de Gobineau répond uniquement par les mélanges ethniques. C’est un peu comme si l’on expliquait la vieillesse et la mort de l’homme par la variété de ses alimens. Or la physiologie nous enseigne que cette variété est nécessaire, que l’usage d’une nourriture trop simple équivaut à l’inanition. En serait-il de même pour les peuples, et l’action d’une race n’agissant que sur elle-même, ne recevant rien du dehors, conservant par conséquent sa pureté entière, aboutirait-elle à la mort ? Non, sans doute ; mais un semblable régime social aurait inévitablement pour suite au moins un sommeil semblable à celui qui a frappé les populations chinoises et la société brahmanique elle-même, cette fille aînée des purs Aryans.

Rome mélangea tous les peuples, et par ce crime, que l’Essai déclare irrémissible, elle amena une dégradation ethnique universelle qui nous eût plongés depuis longtemps dans je ne sais quels abîmes de misère et d’avilissement, si la race qui devait à elle seule renouveler toutes les civilisations passées et faire accomplir à l’humanité sa dernière évolution n’eût à son tour paru sur la scène du monde ; Connue des écrivains chinois sous le nom de khou-té, des poètes hindous sous celui de khétas, cette race était un peuple vratya, c’est-à-dire rebelle aux lois du brahmanisme, mais de même souche que les Aryans primitifs. Abandonnant leur première patrie, située au nord de l’Himalaya, ces peuples se dirigèrent vers l’ouest et portèrent

  1. Voyez les articles sur les métamorphoses dans la Revue du 1er et 15 avril 1855, 1er et 15 juin, et 1er juillet 1856.