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reste-t-il à glaner sur leurs traces quelques rares débris. Désormais la moisson est faite. Les idées religieuses ont trouvé depuis longtemps leur forme définitive. D’éternels modèles nous révèlent d’autre part, et avec un éclat incomparable, le beau dans sa plus haute acception plastique. En dehors de ces deux interprétations suprêmes, qu’y a-t-il donc encore à tenter ? L’analyse des événemens purement humains, la représentation des faits au point de vue dramatique et sous leur aspect, non le plus grandiose, mais le plus probable. Un enseignement direct, et jusqu’à un certain point familier, voilà ce qui s’appropriera le mieux aux conditions de l’art moderne, aux besoins intellectuels de notre époque. » Or cet enseignement, si opportun qu’il fût, fallait-il en préciser les formes à ce point qu’aucun détail ne fût exclu, aucune réalité dissimulée ? Le succès a donné raison aux théories de M. Delaroche, et d’ailleurs l’extrême habileté avec laquelle elles ont été mises en pratique les justifie suffisamment. Il est permis néanmoins de se demander si tout ce que la plume décrit à la pensée, le pinceau peut également le raconter aux yeux, et s’il n’en est pas des ressources de la peinture en face de certains sujets comme des lois ou des convenances théâtrales, « Ne mettez pas la potence sur la scène, écrivait Diderot à Voltaire ; d’autres bientôt y feront figurer le pendu. » M. Delaroche n’a pas craint de réaliser quelque chose des pressentimens de Diderot. La tête coupée de Charles Ier, la paille qui va boire le sang de Jane Grey dépassent peut-être la limite des vérités utiles. En vain objecterait-on l’exemple des anciens maîtres et ces instrumens de torture qu’ils ne se faisaient pas scrupule d’introduire dans leurs tableaux : il n’en va pas du martyre d’un saint comme d’une exécution judiciaire. L’expression de la foi sur les traits de celui qui subit le supplice, le ciel entr’ouvert pour recevoir cette âme déjà presque délivrée du corps, tout, jusqu’au lieu et à l’époque de la scène, tend à idéaliser le martyre religieux et les circonstances qui l’environnent. La palme, en un mot, se voit aux mains des anges autant pour le moins que la hache ou la torche aux mains des bourreaux. Dans la mort d’une victime de la politique, un pareil contraste ne saurait exister. Ici sans doute la pensée de Dieu, de l’éternelle justice peut et doit planer sur le tableau des misères et des iniquités humaines ; mais elle ne se traduit pas sous des formes assez sensibles, elle n’apparaît pas assez ouvertement, pour racheter l’horreur du spectacle, et ennoblir, comme ailleurs, la réalité. Le mieux ne serait-il pas que l’art osât atténuer cette réalité extrême, et que le peintre d’une scène historique n’eût pas tout à fait les mêmes scrupules que le rédacteur d’un procès-verbal ?

Qu’importe après tout ? Si M. Delaroche a pu quelquefois s’exagérer