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Il est huit heures ; le dîner est servi dans une salle à manger aux murs revêtus de stuc et magnifiquement éclairée. La table couverte de cristaux et d’argenterie est soumise à l’action d’énormes punkhas (éventails), qui caressent d’une brise délicieuse la tête des convives. Derrière la chaise de chaque dîneur, un domestique au teint cuivré, en robe et en turban blanc. Toutes les fenêtres sont ouvertes, il y en a au moins dix-huit, et au dehors, sous un beau ciel des tropiques, s’étend une plaine à perte de vue au milieu de laquelle se dessinent les ouvrages du fort William et les mâts des navires à l’ancre dans les eaux du Gange. C’est un coup d’œil à la fois étrange et splendide qui donne à l’arrivant une haute idée des luxes de l’Inde. Et puis entre les convives les manières sont franches et cordiales, aussi éloignées du sans-façon que de la raideur. Votre voisin de droite, ce haut personnage du conseil ou des secrétaireries du gouvernement de l’Inde, dont la démarche solennelle et le majestueux port de tête vous ont paru jusque-là si imposans, vous le retrouvez à la table du club ce qu’il est réellement, un gentleman instruit, bien élevé, obligeant, qui n’a d’autre défaut que de se prendre à certaines heures au sérieux, et sa femme aussi ! La riche santé que celle de votre voisin de gauche, ce monsieur pansu aux joues rubicondes ! Assurément ce type d’excellente graisse est au jour de son débarquer, ou les voyageurs ont étrangement calomnié le climat de l’Inde ! Profonde erreur, cette royale fourchette bâtie sur le modèle du Silène, sinon du Bacchus indien, appartient à la landed gentry, race robuste qui plante de l’indigo, déjeune à la fourchette, goûte à deux services, dîne comme vous pouvez voir, et dépasse la soixantaine en dépit du climat du Bengale et des alcools.

Le Bengal club, outre les ressources de sa table publique et de ses salles de réunion, offre à ses membres des chambres et même des appartemens, si bien qu’un garçon qui y prend ses quartiers n’a point à s’occuper des détails du ménage, si fastidieux partout, plus encore dans l’Inde qu’ailleurs, et réalise en un mot un phalanstère non prévu par Fourier et ses disciples, où l’élégance et les comforts de la vie ne sont toutefois qu’une faible compensation de la monotonie de jours qui se suivent et se ressemblent.

Après avoir parlé du Bengal club, je dois, pour ne pas faire acte d’ingratitude, dire quelques mots d’une autre société anglo-indienne au sein de laquelle j’ai passé des jours heureux et noblement employés. Si donc le lecteur n’est point fatigué de ces esquisses, je le prierai de tenter sous ma conduite une excursion avec le Tent’s club sur les bords du Gange, à la suite des cochons sauvages ou même d’un tigre.

Pour voir à leur avantage, sous le jour le plus favorable, les Anglais,