Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/272

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la lutte. Au rez-de-chaussée, une douzaine de loges qui servent de domicile aux gladiateurs à quatre pattes, héros de ces fêtes, n’étaient habitées, lors de ma visite, que par trois tigres ; mais un signe du maître suffirait à remplir ces vides, car le tigre abonde sur les territoires d’Oude, et il n’est pas rare de rencontrer, dans les rues de Lucknow, quelques-uns de ces animaux menés en laisse comme des chiens ou attachés à la chaîne à la porte des maisons. Le propriétaire d’une villa située sur la route des cantonnemens anglais a eu la singulière fantaisie d’ériger, en guise de loge de concierge aux limites de son jardin, deux pavillons habités chacun par un tigre, dont les yeux brillans et les rugissemens profonds doivent à la nuit occasionner plus d’un vertige au passant nouveau-venu en ces lieux.

Un voyageur anglais, qui visita la ménagerie du roi d’Oude il y a quelques années, raconte avoir vu dans une loge voisine des tigres un mammifère du genus homo, ou tout au moins quelque chose de fort approchant, que le gardien lui présenta sous le nom de junglee ke admee (homme sauvage), bipède qui faisait depuis plusieurs années l’un des plus beaux ornemens de la ménagerie, et dont les habitudes ne se distinguaient en rien de celles de ses confrères à quatre pattes. Muet comme la hyène de la loge mitoyenne, il ne manquait pas, à l’instar du tigre son voisin de droite, de faire régulièrement la sieste après son repas de viande crue. Ce citoyen de la république des bois, qui en vaut bien un autre, avait été trouvé dans un antre à loups situé au plus profond d’une forêt frontière des royaumes d’Oude et de Nepaul. Les loups, qui abondent en ces contrées, enlèvent souvent des enfans dans les villages, et le petit captif ne succombe pas toujours sous la dent de son ravisseur. Il est nombre d’exemples d’enfans élevés par une louve au milieu d’une portée de louveteaux dont ils ont pris, pauvre humanité ! toutes les habitudes. Un officier du service de la compagnie me racontait, au sujet de ces Romulus indiens, l’histoire suivante, que je livrerai au lecteur sans commentaires.

Dans le village de Chuprah, situé à l’est de Sultanpore, vivaient un homme, sa femme et leur enfant, âgé de trois ans. En mars 1843, la famille sortit un matin pour aller vaquer aux travaux des champs. L’enfant avait alors au genou droit une large cicatrice provenant d’une brûlure qu’il s’était faite en tombant dans le feu quelques mois auparavant. Pendant que ses parens travaillaient la terre, l’enfant se roulait sur l’herbe à quelque distance, lorsqu’un loup bondit sur lui de la jungle voisine, le saisit par les reins et l’emporta au galop, malgré les cris et les poursuites du père et de la mère. Des recherches faites le lendemain et les jours suivans sous la direction du père par ses amis et ses voisins furent sans résultat, et l’on dut