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IV. – AGRA, SURDABAG, DEHLI.

Jusqu’aux murs d’Agra, le voyageur n’a pas rencontré sur sa route de souvenirs de ces puissans empereurs mogols dont le nom est arrivé en Europe entouré d’une auréole de gloire et de magnificence, et au cœur de l’Inde, c’est presque avec raison qu’il peut se demander s’il ne faut pas ranger parmi les fictions historiques les victoires et les conquêtes des Akbar et des Aurengzeb. Ces doutes se dissipent devant le fort d’Agra, commencé par l’empereur Akbar en 1563, et fini, dit-on, en quatre ans, fort dont les remparts de pierre rouge ne le cèdent en rien à ces gigantesques débris du passé que le voyageur étonné retrouve dans les déserts de la Haute-Égypte et de la Syrie. Une route dallée conduit à travers les profondeurs d’épaisses murailles à la partie du fort qui domine la ville et la rivière. Quelques cipayes désœuvrés, des objets de campement, un parc d’artillerie, ne peuvent animer cette immense forteresse, construite pour renfermer une armée, et c’est au milieu d’une vaste solitude de ruines mélancoliques, à la suite du noir serviteur préposé à la garde des trésors enfouis dans ces remparts, que le visiteur arrive au palais construit par Shah-Jehan. Une méchante porte de bois fermée d’un cadenas protège seule de sa cloison ce véritable Louvre indien, dans lequel vous pénétrez par les salles de bain réservées au monarque. Quoique l’entretien de ces salles laisse beaucoup à désirer, délabrées comme elles le sont, elles révèlent toutefois aux yeux du touriste ébloui l’étrange magnificence de ces luxes de l’Inde d’autrefois, dont il à tant entendu parler, et dont il a si peu jusqu’ici retrouvé les traces.

Le sol est dallé de marbre blanc, les murs sont revêtus alternativement de plaqués d’émail brun avec des fleurs de porcelaine en relief, et de petits miroirs. Des peintures azur et or d’un goût délicieux couvrent le plafond, mille niches revêtues de marbre sont creusées dans la muraille pour servir d’abri aux lumières ; L’eau se répand en nappe dans une coquille de marbre aux exquises ciselures. Les autres appartenons du palais ne le cèdent en rien à ces bains magnifiques. Partout le marbre, les ornemens les plus délicats, des colonnes incrustées de pierreries : c’est un luxe fou, inouï, que celui de ce palais aérien et désert. La salle affectée aux audiences publiques du monarque, ouverte aux quatre vents, recouverte d’un dôme doré que supportent d’élégantes colonnettes de marbre émaillées de mosaïques de cornalines, de turquoises, d’émeraudes, de rubis, réalise toutes les merveilles des contes arabes. Devant vous, un jardin suspendu, digne de Sémiramis, avec des fontaines jaillissantes au