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civilisateurs des dames de Jésus et Marie. Ainsi le gouvernement de l’Inde ne paie pour les orphelines militaires qui sont confiées au couvent d’Agra qu’une faible subvention de 2 roupies par mois, 24 roupies (60 francs) par an ! somme tout à fait insuffisante pour pourvoir même à la nourriture de l’enfant, et qui laisse la plus grande partie de ses dépenses à la charge du couvent. Cette parcimonie, indigne des hommes éclairés qui président aux destinées de l’Inde, n’est pas la seule à signaler. Les chapelains catholiques attachés aux stations militaires, dont la congrégation est souvent plus nombreuse que celle des ministres protestans, ne reçoivent par mois qu’un faible salaire de 80 roupies, tandis que les appointemens mensuels de leurs collègues protestans dépassent souvent 7 et 800 roupies. Il est à espérer que l’esprit de véritable libéralisme qui tend chaque jour à dominer davantage dans les conseils de l’honorable compagnie fera bientôt justice de ce choquant état de choses. Il ne s’agit pas ici de grever d’une somme considérable le budget de l’Inde ; quelques milliers de roupies suffiraient pour satisfaire les justes réclamations du clergé catholique de l’Inde. Les plus exigeans d’entre les chapelains militaires ne rêvent pas en effet au-delà d’un salaire de 150 à 200 roupies par mois, qui leur donnerait les moyens de vivre sans être obligés de compter sur la générosité des soldats irlandais, ce qu’ils ne peuvent faire aujourd’hui, quelque parcimonieuse que soit leur existence. Les établissemens qui dépendent de la mission d’Agra ne sont pas tous dans la ville. Des succursales ont été fondées à Missourie, sous le climat salubre des montagnes de l’Himalaya, et à Sirdanah, village peu distant de Meerut, dans les domaines de la Begum-Sumroo, femme vraiment extraordinaire, dont il ne sera peut-être pas hors de propos de dire ici quelques mots.

Il y aurait sans contredit un sujet d’histoire émouvante et romanesque dans la vie de cette femme de rare intelligence et de robuste énergie, qui prit une part active aux luttes dont fut précédée la dissolution du vaste empire des Mogols. Fille mahométane de la caste des Squadanees, qui s’enorgueillit de descendre du prophète, elle épousa, fort jeune, un aventurier de Saltzbourg du nom de Reinhard, auquel sa morne contenance avait fait donner le sobriquet de Sombre. Ce Reinhard, venu dans l’Inde comme soldat d’un régiment français, passa d’abord au service anglais, puis à celui de divers princes natifs, et à l’époque de son mariage il commandait plusieurs bataillons européens composés de ce rebut d’aventuriers qui se réunissent autour des empires à l’agonie, comme les vautours autour des cadavres, troupes turbulentes toujours prêtes à vendre leurs services au plus offrant, et qui, au jour de la bataille, attendent prudemment,