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y avait de lâche et de cruel dans un pareil acte disparut sans doute pour ne laisser place qu’à ce qu’il y avait d’utile : Didyme et Vérinien avaient été pour Constantin l’enjeu d’une combinaison qui devait rapprocher la Gaule de l’Italie ; Rusticus fit de leur mort l’appoint d’un calcul contraire. Voilà ce qu’on peut légitimement supposer, et ce qui semble trouver sa justification dans les événemens qui suivirent. Si la prudence ne permit pas à Constantin de punir son ministre immédiatement, du moins l’éloigna-t-il de sa personne quelques mois après, tout en le ménageant, car il pouvait en avoir tout à la fois peur et besoin ; plus tard aussi Honorius le fit rechercher et mettre à mort comme s’il eût eu contre lui quelque sujet particulier de vengeance. Autant en un mot il répugnerait au bon sens d’admettre la culpabilité de Constantin, autant celle de son ministre paraît répondre aux faits de l’histoire.

On peut croire qu’à la nouvelle de cet acte hardi le tyran des Gaules ressentit un vicient accès de colère ; il sut pourtant se contenir et étouffer pour l’instant tout fâcheux éclat au dehors. Au reste, si Décimus en était réellement l’auteur, et si tel avait été son calcul, le profond politique s’était bien trompé. Soit que le bruit de l’événement n’arrivât pas à Ravenne assez tôt pour qu’Honorius pût contremander son ambassade, soit qu’il le jugeât assez indifférent en face des nécessités qui pesaient sur lui et d’heure en heure devenaient plus menaçantes, il ne changea rien à ses promesses verbales, et Constantin reçut la lettre tant souhaitée où le fils de Théodose l’appelait collègue et frère. Le haut fonctionnaire italien chargé de la dépêche apportait aussi le manteau de pourpre et les autres insignes impériaux dont Constantin devait recevoir par ses mains l’investiture. La mort de Didyme et de Vérinien, quelles que fussent les explications qu’on lui en donnât et avec quelque confiance qu’il les reçût, ne l’empêcha point de passer outre à l’accomplissement de sa mission. Toute la Gaule fut conviée à la cérémonie, qui se célébra dans les murs d’Arles avec un appareil extraordinaire de magnificence, et, en vertu de cette solennelle adoption, le simple soldat des légions de Bretagne se trouva empereur légitime, frère d’Honorius, oncle de Théodose II, et fils du grand Théodose, dont il avait si rudement traité la famille. C’était pour lui trop de bonheur et d’orgueil, et son bon sens, qui l’avait si bien conduit jusqu’alors, se laissa obscurcir par les fumées de la vanité. Sans attendre que le renouvellement de l’année lui permît d’inscrire régulièrement son nom dans les fastes consulaires, impatient d’un honneur qui le confondait avec tout ce que Rome républicaine et impériale avait compté de plus grand, il se fit lui-même consul, pour l’année courante 409, en compagnie de son frère Honorius. Ce consulat de fantaisie ne dépassa point les limites de la Gaule, mais il y fut généralement reconnu.