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à quel point tout sentiment du devoir, toute idée de la règle s’étaient obscurcis dans cette société en ruine, où la loi n’avait plus de sanction, ni la vie publique de lendemain. Les chefs de la horde, voulant passer en Espagne, sans être inquiétés, s’abouchèrent avec les officiers du corps des honoriaques, qui gardaient les défilés au nom de l’empire gaulois. J’ai dit ce qu’était ce corps d’élite organisé par Honorius avec des recrues barbares, et estimé dans l’armée romaine pour sa bravoure et sa fidélité. Tant que l’administration de l’Espagne avait été régulière, que la solde des garnisons s’était payée à jour dit, les honoriaques avaient rempli honnêtement leur mission, la frontière avait été bien défendue et les villes espagnoles garanties de toute entreprise partie de la Gaule ; mais lorsque par suite de la guerre civile qui embrasait la péninsule, l’argent et les vivres vinrent à leur faire défaut, ils se mirent à piller d’abord pour se nourrir, puis pour piller. Descendant de leurs postes dans la plaine, ils dépouillaient les campagnes, rançonnaient les villes, et celles qui se refusaient à ce tribut ignominieux, ils les traitaient comme ils eussent fait en pays ennemi. Palentia fut prise d’assaut et saccagée, et sa riche campagne transformée en désert. Dans le nombre des terres dévastées par ces brigands, il s’en trouva qui appartenaient au domaine impérial ; or toucher à celles-là, c’était se rendre coupable d’un crime que tout empereur, quel qu’il fût, Maxime, Honorius ou Constantin, ne manquerait pas de punir au moins pour l’exemple. En réfléchissant aux conséquences de leur action, les honoriaques eurent peur et songèrent à se garantir contre les sévices du gouvernement soit romain soit gaulois. Ils en étaient là quand des émissaires de la horde, qui n’ignoraient ni les méfaits des honoriaques, ni leurs appréhensions très fondées, vinrent s’aboucher avec eux. Ils leur demandaient le libre passage des ports moyennant certaines conditions, dont la principale était le partage du butin et celui des terres qu’ils pourraient conquérir en commun. Des pourparlers eurent lieu ; les propositions des rois de la horde, débattues par les honoriaques comme celles d’un marché ordinaire, finirent par être acceptées, et le traité fut conclu.

Le 28 septembre, d’autres disent le 13 octobre de l’année 409, les ports furent livrés aux Vandales et à leurs confédérés, qui les franchirent paisiblement. On vit alors un odieux spectacle, celui d’une garnison romaine écartant à grands coups de flèches et de javelots les malheureux Espagnols accourus du fond de leurs vallées pour prêter main-forte à ceux qui étaient chargés de les défendre. Grossie par l’adjonction des honoriaques, la horde vint fondre sur l’Espagne comme un torrent, évitant d’abord avec prudence les provinces du nord-est, qu’occupaient les armées de Gérontius et de Constant, et portant son effort principal sur l’ouest et le midi. On aurait pu croire