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si on n’aperçoit pas une tête de jeune fille curieuse ? Saluez-la à la française, en souriant, et vous verrez passer sur sa figure mille émotions qui valent mieux à regarder que tous les musées de l’Europe. La belle affaire que de dire à trois cents lieues : J’ai compté tant de Raphaël, tant de Rubens ! Que m’importe ? Et nous nous moquons des provinciaux qui montent sur la colonne et qui vont entendre l’écho dans les souterrains du Panthéon !

Nous étions entrés dans le musée de Bâle, moi surtout plein de curiosité. Il est rempli de tableaux d’Holbein, le maître que je regarde comme le roi des peintres. Ses portraits exacts et calmes vous meublent le cerveau de savans à physionomie accentuée qu’on n’oublie plus quand on les a vus ; de tous les peintres, c’est celui qui rend le mieux la physionomie de son époque. La garde du musée était confiée à une jeune fille, fraîche enfant de seize ans, qui nous conduisait à travers les salles ; je traversai assez rapidement la salle des dessins, sauf à y revenir plus tard, et j’allai me goinfrer des peintures d’Holbein dans la salle qui suivait. J’étais trop sous le coup de mon admiration pour remarquer que le Hollandais ne me suivait pas ; d’ailleurs il était si minutieux, qu’il devait emplir son carnet de descriptions de dessins. Quant à moi, mes sensations sont alertes et subtiles ; je note en une seconde, et je ne ressemble guère à ces amateurs qui vont tous les jours passer une heure en contemplation devant un tableau. Il y a si peu de pensée dans l’exécution du peintre que je suis à peu près certain que ce n’est pas par une réflexion assidue, que je la découvrirai ; bienheureux sont ceux qui voient des mondes dans une peinture ! Je n’y crois guère.

Tout à coup j’entendis dans la salle voisine un bruit sur le plan cher qui ne pouvait provenir que d’une course précipitée, et la jeune fille qui nous servait de guide entra un peu émue, la figure rouge, dans la pièce où je me trouvais. Évidemment elle fuyait le Hollandais : je ne fis pas mine de m’en apercevoir, et je continuai à regarder les Holbein. Le Hollandais reparut flegmatique comme d’habitude, tenant son cahier de notes ; il vint de mon côté et trouva le moyen de pincer la taille de la jeune fille, qui jugea à propos de n’en rien manifester, se fiant sur ma présence. Il y avait une troisième salle que j’explorai d’abord seul, et, ainsi que tout à l’heure, la demoiselle prit la fuite, toujours poursuivie par le Hollandais, que cette fois j’avais observé, et qui tentait de l’embrasser. — Cet homme-là, pensai-je, n’aime, guère la peinture et se soucie fort peu des Holbein.

Cinq heures plus tard, la nuit en diligence, j’excusais mon Hollandais et je le trouvais presque un homme de sens : en présence de peintures et d’une jeune fille, il choisissait la jeune fille. Il oubliait