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place des jolis mots français amoureux quelques froideurs à l’allemande dont il était le maître absolu ? Déjà ces doutes m’étaient venus à l’esprit et avaient été dissipés à l’instant par l’amitié qui régnait entre nous ; mais aujourd’hui n’étaient-ils pas justifiés par l’absence de Gritti ?

— Elle ne viendra pas, dit tout à coup Christen.

Cette affirmation me rappela à la raison ; je vis que mon ami n’y mettait pas de détours, et je trouvai à sa figure une telle sérénité, que je pris son bras.

— Allons dîner, dis-je.

La gaieté du vin blanc et les joyeux propos de Christen chassèrent toute espèce de rancune ; nous bûmes à la santé de Gritti.

— Au prochain marché, dit Christen, je lui ferai des reproches, et je lui demanderai sérieusement où elle demeure.

— Non, pas de reproches ! n’effarouche pas Gritti. Qui sait les motifs qui ont pu l’empêcher de venir au rendez-vous ? Ah ! pourquoi ne sais-je pas l’allemand ? Au fait, ne pourrais-tu pas m’écrire un petit registre amoureux en allemand et en français ?

— Je ne demande pas mieux ; mais quand Gritti te répondra, tu n’en seras pas plus avancé. Et la prononciation ?

— J’ai mon idée ; dans les restaurans parisiens, quand un Anglais craint de ne pas se faire comprendre, il appelle le garçon, et s’il a envie d’une caille rôtie, il lui montre l’endroit de la carte où est écrit « caille rôtie. » C’est une sorte de carte qu’il sera bon de dresser pour la montrer à Gritti.

— Si tu veux l’embrasser, tu lui montreras le mot allemand.

Et nous voilà à rire aux éclats de cette idée.

— Non, dis-je, pour le baiser, je le prendrai en français sur ses joues allemandes, et nous nous comprendrons toujours ; mais j’ai d’autres questions à lui faire.

— Lesquelles ?

— Plus tard nous verrons, je ne sais. — Puis, revenant à ma première idée : — Il est étonnant qu’on n’ait pas pensé à imprimer pour les voyageurs pleins de sentiment des guides où la passion se peindrait en traits de flamme avec traduction interlinéaire, car la galanterie est un besoin de notre existence, comme la nourriture, le sommeil, l’air et la lumière. Certainement on imprime tous les jours des livres moins utiles.

C’est ainsi que se passa le dîner, en conversations plaisantes, qui, si elles ramenaient quelquefois le souvenir de Gritti, attachaient à son nom des paroles gaies et joyeuses.

Le lendemain, il y avait bal à Laengui, et je n’eus garde d’y manquer. Je recommande à tout voyageur curieux, qui arrive dans une