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— Avoue que tu es de mauvaise humeur, dit Christen ; mais il s’était servi de la forme la plus maladroite en me disant d’avouer ce qui était vrai. Tout le reste de la journée, je fus d’une humeur massacrante, et plus tard je me suis repenti des taquineries que je lui fis subir pendant mon séjour à Berne.

Le lendemain, Christen et moi avions oublié la querelle à propos de brandebourgs, et il fut convenu que mon ami irait porter mes dernières paroles à Gritti, car le jour de mon départ approchait, et déjà je me repentais d’avoir perdu un temps considérable à m’occuper de la petite marchande.

— Un rendez-vous ! s’écria Christen en revenant du marché. Mlle Gritti te recevra aujourd’hui, à deux heures de relevée, dans son boudoir de l’Herrengasse.

— Qu’est-ce que ce boudoir au nom barbare ?

— Cela veut dire que la Gritti demeure rue des Messieurs ou rue des Pasteurs. Traduis le mot à ton choix.

À deux heures, ayant laissé Christen au café, je me dirigeai vers l’Herrengasse, non sans une certaine émotion. Mille doutes et mille questions amoncelées cherchaient à me paralyser par avance ; mais je les repoussai cruellement, sans vouloir écouter leurs malicieuses suppliques. En présence d’une aventure étrange, j’ai l’habitude de l’aborder les yeux fermés, et si j’ai peu de qualités, je revendique celle-là surtout. Le premier obstacle qui se présenta fut l’absence d’un concierge ; Gritti demeurait au fond d’une petite place, dans une maison dont l’entrée consistait en un couloir assez étroit, avec murs de planches. Au bout du couloir était un escalier de pierre descendant à un jardin composé de fleurs et de légumes. Le jardin me confirma que j’avais trouvé la réelle demeure de la petite marchande de salade ; cependant je flairais la maison, regardant le premier étage et diverses constructions sans magnificence, occupées sans doute par des ouvriers. — Où frapper ? me disais-je. Qui demanderai-je, et en quelle langue le demanderai-je ? — Heureusement pour moi, j’entendis un éclat de rire féminin qui partait du corridor : c’était sans doute Gritti qui par ce signal m’indiquait son appartement. Une clé est à la porte, je frappe, j’entends un son de voix qui peut vouloir dire : Entrez ; j’ouvre la porte, et je me trouve en présence de Gritti et de trois ou quatre jeunes filles qui me regardent avec curiosité. — Bonjour, mesdemoiselles, — Je salue, je m’assieds, je regarde Gritti, toujours souriante, occupée ainsi que ses compagnes à gratter avec du verre une corne molle qui produisait des sortes de petits cornets enroulés. Un jeune collégien, que sa mère a forcé à inviter une des plus élégantes femmes du bal, coquette et décolletée, n’est pas plus embarrassé de son maintien que