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de Plotine, jouant ainsi, longtemps avant Regnard, la farce du Légataire universel. Ceci doit être une fable. Ce qui est hors de doute, c’est l’influence de Plotine sur le choix du nouvel empereur. Plotine donna le premier exemple de l’intervention des femmes dans les destinées de l’empire ; nous verrons cette influence reparaître au temps d’Alexandre Sévère et d’Héliogabale.

Bien que Dion dise expressément que Plotine avait pour Adrien un attachement amoureux, il se pourrait que sa prédilection ait été innocente. Adrien était parent de son mari et avait épousé sa nièce ; elle n’avait point d’enfant, et son cœur de tante put s’intéresser à ce séduisant neveu. Il en coûterait de mettre une passion coupable sur cette honnête figure, car Plotine a l’air d’une honnête et bonne femme. Le peu qu’on sait d’elle confirme cette impression et le témoignage de Pline. En montant pour la première fois l’escalier du palais, elle dit : « Je prie les dieux qu’ils m’en fassent sortir telle que je vais y entrer. »

Pour Adrien, c’est autre chose ; il n’a pas l’air bon, et on vient de voir qu’il ne l’était point. Bien que du même pays et de la même famille, il ne ressemble pas plus à son prédécesseur par les traits du visage qu’il ne lui ressemblait par l’âme. Trajan est tranquille et posé ; Adrien est évaporé, inquiet. Espagnols tous les deux, ni l’un ni l’autre n’a le profil romain ni une physionomie vraiment romaine, Adrien encore moins que Trajan. Avec ses moustaches et ses favoris, il a l’air d’un moderne ; sa figure, sans gravité, est une figure spirituelle. Le premier des empereurs, il porta la barbe pour cacher une cicatrice, comme on l’a dit de François Ier, auquel il ressemble un peu de visage. François Ier protégeait les artistes, ainsi qu’Adrien avait la prétention de le faire ; mais il ne les jalousait point, ne se donnait point pour les surpasser, et ne fit point mourir Benvenuto Cellini par rivalité de métier, comme Adrien fit mourir Apollodore.

Nous rencontrons tout d’abord ce trait, qui, à lui seul, suffirait pour le faire détester. Adrien avait toutes les prétentions, celle de la poésie, de la prose, de la critique, de l’astrologie. Il faisait des vers obscurs à l’imitation d’un certain Antimaque qu’il voulait qu’on mît au-dessus d’Homère ; il affectait de n’aimer que les vieux auteurs, préférant Ennius à Virgile. Il s’était exercé dans tous les arts : il peignait, il modelait, il chantait et jouait de la lyre. Il paraît avoir été un amateur universel, mais il voulait être plus habile que les artistes de profession, et quand il n’y parvenait pas, il se plaisait à les décrier, à les rabaisser, à les écraser ; ut doctior, risit, contempsit, obtrivit, dit Spartien. Cela n’était pas très généreux, car ceux qu’il traitait ainsi auraient pu lui répondre ce que dit le sophiste Favorinus, à qui ses amis demandaient pourquoi il avait changé sur une critique de l’empereur un mot qu’il aurait pu défendre : « Comment