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signaler un autre indice dans une mesure que les modernes ont trop vantée, l’abandon des conquêtes de Trajan sur le Danube et sur l’Euphrate. De plus il y a dans les musées de Rome deux portraits qui accusent sa mémoire, celui de Sabine et celui d’Antinoüs.

Adrien fut soupçonné d’avoir empoisonné sa femme Sabine. Son union avec elle avait été l’origine de sa grandeur. Sabine, à en juger par ses bustes, avait, au plus haut degré, ce que nous appelons la distinction. Elle diffère en cela de sa mère Marciane et de sa sœur Matidie. Ces princesses, auxquelles on éleva des temples, ont une physionomie assez vulgaire : Matidie, l’air boudeur d’une petite provinciale. Sa mère Marciane, sœur de Trajan, a été louée par Pline pour sa candeur et sa simplicité ; il a dit d’elle que c’était une personne vraie avant qu’on l’eût dit d’une femme célèbre : illa tua simplicitas, tua veritas, tuus candor agnoscitur. Tout cela se retrouve dans les bustes de la sœur de Trajan ; mais, chez toutes ces femmes de l’honnête famille Ulpia, on ne découvre aucune élégance. Leur coiffure n’est pas tout à fait aussi laide que celle des princesses flaviennes, mais elle est encore bien singulière. C’est ce que Stace appelle un monticule de cheveux, suggestumque comœ, et que Juvénal a décrit quand il montre les femmes romaines construisant, étage par étage, l’édifice élevé de leur coiffure. Sabine abuse moins que sa mère et sa sœur de cette mode bizarre. C’était évidemment une personne de goût[1], aimant l’esprit ; elle s’entourait d’une société familière dans laquelle se trouvaient des hommes de lettres, à en juger par l’historien Suétone, qui en faisait partie. Ils furent punis par Adrien à cause de cette intimité, qu’il n’avait pas permise. Ces paroles de Spartien montrent qu’Adrien ne reprochait rien de grave à Sabine, et que c’était à ses yeux un tort d’étiquette, tout au plus de légèreté. Il se plaignait qu’elle fût d’un caractère chagrin et rude, morosa et aspera, l’expression des traits de Sabine dément l’imputation d’Adrien. Cependant il est possible que cette bouche fine et fière ait quelquefois laissé échapper une irritation que la conduite de son époux justifiait. Du reste, elle l’accompagnait dans ses voyages, au moins elle fit avec Adrien celui d’Égypte, car on lit le nom de Sabine sur une des jambes du colosse d’Aménophis, parmi ceux des curieux venus là pour entendre le son que rendait, au lever du soleil, cette statue, à laquelle les Grecs avaient donné le nom du héros homérique Memnon. Si la figure ingrate de la fille de Titus augmente les torts de Domitien, la noble et spirituelle beauté de Sabine rend plus inexcusable encore chez Adrien un égarement qu’il faut

  1. Une statue du Vatican la représente dans un costume qui serait bien étrange pour nous, mais qui ne l’était point tant à Rome, avec une de ces tuniques presque transparentes dont parlent Horace et Juvénal.