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est savante ; elle n’absout ni ne condamne au hasard, et comme elle possède, grâce à Lessing et à Goethe, les principes d’une esthétique intelligente, ses appréciations contiennent pour nous des avertissemens dont nous ferions bien de profiter.

Peut-être signalerai-je un jour, à propos de M. Julien Schmidt par exemple, les jugemens portés par les critiques les plus autorisés de l’Allemagne sur les poètes et les romanciers de la France au XIXe siècle, et l’on y trouvera matière à réfléchir. Je ne veux aujourd’hui qu’indiquer ce fait : M. Berthold Auerbach a produit toute une école hostile à notre littérature romanesque. Je n’emploierai pas ici ce mot de réaction, qui indiquerait une erreur passionnée, en sens contraire ; il ne s’agit pas d’une réaction, mais d’une condamnation calme et résolue. Les gros mélodrames qui avaient cours il y a vingt ans, les priapées des Crébillon et des Laclos de ce temps-ci peuvent trouver encore des traducteurs au-delà du Rhin parmi les literats de bas étage ; ces fleurs du mal se flétriront vite dans une atmosphère purifiée. Purifions l’air, a dit M. Auerbach, et il a prêché d’exemple ; défrichons le sol de l’Allemagne, a dit M. Julien Schmidt, et le critique, venant en aide au romancier, a indiqué aux inventeurs de riches veines de poésie. Ce qu’ils recommandent l’un et l’autre, c’est l’étude de la réalité. L’exemple de M. Auerbach, comme les exhortations de M. Julien Schmidt, arrivaient très à propos après toutes les écoles désordonnées qui s’étaient succédé depuis la mort de Goethe. Sous prétexte de renouveler la littérature nationale, on l’avait appauvrie ; l’esprit public était las de ces tentatives stériles, la gravité des événemens faisait sentir plus vivement la vanité des œuvres littéraires, et le patriotique historien de la poésie germanique, M. Cervinus, avait terminé son histoire par ce cri extraordinaire : « Plus de poésie, plus de rêves ! Il s’agit de vivre. Relevons l’Allemagne qui s’affaisse ; nous chanterons, si nous sommes vainqueurs. » MM. Julien Schmidt et Berthold Auerbach ont proposé un amendement à la loi de M. Cervinus ; ils ont demandé tout simplement que la poésie revînt à la réalité, et que l’imagination, au lieu d’inspirer le dégoût de la vie active, en inspirât l’amour. M. Auerbach et M. Schmidt ont-ils condamné l’idéal ? Des voix intéressées leur ont adressé ce reproche ; je ne puis me ranger à cet avis. L’idéal est dans la réalité même, et celui-là seul est le vrai. L’œuvre de la poésie est de savoir le trouver, le dégager et le mettre en pleine lumière.

Il y a quelques années, un des souverains de l’Allemagne se promenait familièrement avec un poète dans le parc de sa résidence. Le poète, jeune encore, était déjà célèbre par des comédies et des drames où brillait, à travers maintes prétentions aristocratiques,