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se complaisent, avec une perfidie qu’on ne saurait flétrir trop sévèrement, ils feignent l’émotion, l’attendrissement, ils font semblant d’éprouver des sentimens qu’ils n’ont jamais connus, et le lecteur crédule se laisse abuser par quelques lignes de louange au point d’ajouter foi à la sincérité du blâme. Dieu merci, les grands hommes ont fait justice de cette odieuse comédie, leurs amis ont le mot d’ordre, et les yeux de la foule sont à tout jamais dessillés. Il est défendu de parler librement des écrivains célèbres ou illustres. Quand ils se trompent, il faut se taire sous peine de passer pour un mauvais citoyen. Le génie a ses privilèges, et quiconque s’avise de les contester est montré au doigt comme un envieux pour qui le bonheur d’autrui est une douleur cuisante. Le silence est donc le seul moyen de vivre en paix, d’échapper à la colère des illustres et de leurs courtisans.

S’occupe-t-on des talens nouveaux, qui n’ont pas encore conquis la même renommée, on s’expose à des reproches d’un autre genre. Si les écrivains dont les moindres pages sont lues avidement prétendent se dérober à la discussion en invoquant l’inviolabilité du génie, les talens nouveaux, qui redoutent le silence, ne pardonnent pas la sévérité. Que la critique se taise, ils diront qu’elle ne comprend pas sa mission, qu’elle oublie le premier de ses devoirs, qu’elle néglige d’encourager ceux qui essaient de se frayer une voie nouvelle. Sans doute l’indulgence serait plus commode pour ceux qui écoutent et pour ceux qui parlent ; mais quel profit les talens nouveaux recueilleraient-ils de paroles emmiellées ? Ils croiraient avoir touché le but et se laisseraient aller à la paresse ; la renommée leur échapperait, ils se plaindraient de leur obscurité, et s’aviseraient trop tard des dangers de l’indulgence. Il faut donc, à l’égard des talens nouveaux, tempérer la louange par les avertissemens : c’est la seule manière de les encourager utilement ; mais la chose est si vraie, que les écrivains qui débutent refusent d’en convenir. Ils ont pris la plume pour devenir célèbres, et s’ils réclament la discussion, c’est uniquement pour réaliser leur projet. Ce qu’ils demandent, c’est un hymne, une fanfare en l’honneur de leurs premiers essais. Quant aux conseils, ils seraient assez mal venus. C’est une denrée depuis longtemps dépréciée, comme diraient les économistes, car l’offre dépasse la demande. Pour accepter des conseils, il faut posséder une vertu qui n’est pas prônée parmi nous, la modestie. À voir le train que suivent les choses, le sens de ce mot sera bientôt perdu. Douter de soi-même, n’est-ce pas inviter à partager ce doute injurieux ? Marcher d’un pas ferme et résolu vers un but ignoré où défini, n’est-ce pas la méthode la plus sûre pour inspirer sympathie et confiance ? En présence d’une théorie si bien accréditée, que signifie la discussion