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auxquels les écrivains se laissaient entraîner ; mais ces raffinemens, ces subtilités valaient mieux cent fois que les aventures imaginées par les écrivains de nos jours. Il y avait dans ces œuvres qui soulevaient alors tant d’objections, et souvent des objections très légitimes, un sincère désir d’aborder les questions les plus hautes, et si plus d’une fois l’ambition de l’écrivain a été trompée, s’il lui est arrivé d’embrouiller les fils qu’il espérait démêler, d’obscurcir ce qu’il voulait éclairer, au moins devons-nous reconnaître qu’il était guidé par des intentions élevées. Il se trompait, mais son erreur même obligeait le lecteur à le traiter avec déférence. S’il tentait imprudemment de résoudre en quelques pages les problèmes les plus difficiles, qui ont occupé depuis longtemps les philosophes et les hommes d’état, et si son espérance était trahie, nous étions forcés de rendre justice à la générosité de son dessein. Aujourd’hui tout est changé. Il ne s’agit plus de récits inventés pour mettre en lumière les vices de la société moderne. Les romanciers qui visent à la popularité sont animés d’intentions plus modestes. Ils ne veulent qu’amuser. Ils dédaignent avec un soin prudent toutes les questions qui touchent aux fondemens de la société où nous vivons. Ils s’interdisent la réflexion comme un danger. Ils racontent pour raconter, et croiraient manquer à tous les devoirs de leur profession, s’ils prenaient pour guide une idée préconçue. Quand on s’avise de leur demander ce qu’ils se proposent, c’est à peine s’ils comprennent l’objet d’une telle question. Une idée préconçue, à quoi bon ? Ils savent combien ils veulent écrire de pages. Cette prévoyance suffit à tous leurs besoins. Exiger davantage, c’est se montrer pédant. Le roman dont je signalais tout à l’heure les témérités était d’un ordre plus haut. Il dogmatisait souvent sans opportunité, sans profit pour le lecteur, mais du moins il avait un but. S’il ne prenait pas toujours la route la plus sûre, il ne marchait pas au hasard. Aujourd’hui l’anarchie règne dans le roman comme au théâtre. L’unique loi est d’étonner, de divertir à tout prix, et le développement d’une pensée incarnée dans un récit n’éveille chez les romanciers applaudis qu’un dédain railleur. Pour que cette forme littéraire reprenne le rang qui lui appartient, il faut absolument renoncer aux habitudes que je viens de signaler. Tant que l’émotion sera sacrifiée à l’étonnement, tant que les aventures usurperont la place de la passion, il ne faut pas espérer pour le roman de régénération sérieuse. L’expérience a prouvé que les questions philosophiques et sociales demandent une discussion spéciale, et ne se prêtent pas aux caprices de l’imagination. C’est.une leçon qui ne sera pas perdue ; mais en interdisant au roman la forme dogmatique, nous lui accordons le droit de toucher aux questions les plus hautes. Il s’agit seulement de