Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/435

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les pierreries, et ne pensent pas à se demander combien coûterait ce luxe effréné. M. Achard, en écrivait la Robe de Nessus, a cédé comme tant d’autres à cette tentation contagieuse : il a voulu montrer qu’il n’ignorait pas l’aspect de la richesse. Il enveloppe les pieds de sa courtisane dans les plis d’un cachemire indien, il appuie sa tête sur la mousseline et la dentelle. Quelques lecteurs s’en émerveillent comme d’un trait de vérité ; pour ma part, je pense qu’il convient toujours de traiter avec la plus grande sobriété les détails de la vie extérieure. Un écrivain dont le goût et la sagacité sont universellement reconnus blâmait autrefois les festons et les astragales. Le conseil qu’il donnait à ses contemporains est encore de mise maintenant. Les festons et les astragales sont passés de mode ; mais le palissandre et le citronnier, la mousseline et la dentelle tiennent aujourd’hui beaucoup trop de place dans le roman. Les sentimens les plus vrais, les idées les plus élevées, sont amoindris par cette fâcheuse habitude. Prouver qu’on sait la nature humaine semble peu de chose ; prouver qu’on possède sur le bout du doigt tous les détails d’un riche ameublement, d’une toilette opulente, paraît un devoir impérieux. M. Achard, en peignant les angoisses d’un cœur abusé, a montré assez de finesse et de pénétration pour renoncer sans regret aux descriptions que je blâme. Pour intéresser les lecteurs et même les lectrices, il n’est pas besoin de raconter les merveilles d’une robe en point de Chantilly. Qu’il se renferme donc résolument dans l’étude des caractères, et réserve pour l’émotion les paroles qu’il dépensait pour l’éblouissement. En suivant le conseil que je lui donne, il perdra peut-être le suffrage de quelques lecteurs frivoles, qui préfèrent volontiers dans un livre ce, qui brille à ce qui émeut, mais il sera amplement dédommagé de leur désertion par les applaudissemens des hommes de goût. Il y a dans la Robe de Nessus des pages qui pourraient disparaître sans aucun préjudice pour le récit, et je dirai même que le récit gagnerait en les perdant. J’ai lieu de penser que M. Achard sait à quoi s’en tenir sur la valeur des pages que je lui signale : il les a écrites pour plaire à la foule. Aujourd’hui, je l’espère, il vise plus haut : il veut des suffrages plus difficiles à conquérir, il comprend ce que vaut la sobriété dans les descriptions.

Les dernières œuvres de MM. Octave Feuillet, Henry Murger et Amédée Achard méritent d’autant plus d’attention qu’elles se recommandent par une pureté qui ne se trouvait pas dans leurs premiers essais. Dans ce groupe ingénieux, celui qui m’inspire la plus vive sympathie est ; l’auteur de la Petite Comtesse. Si je lui ai reproché de pousser parfois la finesse jusqu’à la subtilité, ce n’est pas que je méconnaisse la grâce et l’intérêt de ses conceptions, son ardent désir de présenter sa pensée sous la forme la plus exquise ; mais sur