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des villes ; mais ce n’est pas de celle-là qu’il s’agit pour le moment : l’émigration à l’extérieur peut seule avoir quelque influence sur le chiffre total, et cette influence est à peu près nulle.

Un ralentissement marqué depuis dix ans, et surtout depuis cinq, une fois bien constaté, il reste à en apprécier le véritable caractère. Une population qui s’accroît lentement, et même une population qui reste stationnaire ou qui diminue, n’est pas dans tous les cas un phénomène à déplorer. Il peut arriver au contraire que ce soit un symptôme heureux, quand il coïncide avec une augmentation de production et de bien-être. Le genre humain a beaucoup plus souffert jusqu’ici par la surabondance que par la rareté de la population ; c’est l’excès de population qui produit la misère. Avant 1847, la France était déjà un des pays de l’Europe où la population s’accroissait le moins vite, et tout n’était pas à regretter dans cette lenteur, puisque la prospérité générale marchait plus rapidement. Cette fois il n’y a pas moyen de se faire illusion : la brusque interruption qui vient de se produire a quelque chose de violent et d’excessif qui frappe au premier coup d’œil, et quand on y regarde de plus près, on découvre l’action des causes les plus douloureuses.

Jusqu’aux premières années de ce siècle, les philosophes politiques ont généralement professé sur cet important sujet des idées incomplètes. Uniquement frappés de l’importance d’une grande population pour la puissance des états, ils insistaient sur ce point sans s’inquiéter assez de la condition même des peuples. À leur exemple, les gouvernemens encourageaient aveuglément le progrès des mariages et des naissances. Un homme de génie, Malthus, qui a été depuis indignement calomnié, est le premier qui ait relevé cette erreur. Né dans un pays où l’excès de population amenait sous ses yeux de violentes souffrances, l’Angleterre, il a écrit un livre célèbre dont beaucoup de gens parlent sans l’avoir lu, et où il démontre avec la dernière évidence le danger de cette préoccupation exclusive. Ce n’est pas la population proprement dite qu’il faut s’efforcer de multiplier, c’est la quantité des subsistances. L’homme a une puissance organique de multiplication qui n’a pas besoin d’être excitée et qui doit au contraire être contenue par la raison, car elle tend toujours à dépasser les moyens d’existence, et dans ce cas c’est la maladie et la mort qui se chargent de rétablir l’équilibre. Telle est en peu de mots la théorie de Malthus, théorie d’une vérité frappante, et dont l’auteur doit certainement compter parmi les principaux bienfaiteurs du genre humain.

Malheureusement il n’est pas d’homme dont les idées, si justes qu’elles soient, ne puissent être défigurées par la passion ou par la légèreté, et Malthus a eu plus que tout autre ce triste privilège. Les