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premiers qui l’ont trahi sont parmi ses propres sectateurs. Lui, si sage et si modéré, il a eu la douleur de voir professer sous son autorité des idées aussi odieuses qu’absurdes. Ses adversaires en ont profité ou s’y sont laissé prendre, et de ces déplorables exagérations est sortie une polémique qui dure encore, et qui a fini par obscurcir singulièrement sa doctrine. Le seul moyen de rentrer dans le vrai est de relire Malthus lui-même ; on verra que, loin de prêcher la dépopulation et le vice, il s’est tenu dans l’exacte mesure. « La plus grande objection, dit-il, qu’on ait faite à mes principes, c’est qu’ils contredisent le commandement primitif du Créateur, l’ordre de croître, de multiplier et de remplir la terre. Ceux qui m’opposent cette objection n’ont pas lu mon ouvrage, ou n’ont fait attention qu’à quelques passages détachés, sans en saisir l’ensemble. Je suis pleinement persuadé que c’est le devoir de l’homme d’obéir à ce commandement, et je ne crois pas qu’il y ait un seul passage de mon écrit dont on puisse inférer le contraire, lorsqu’on le lit à sa place et avec intelligence. Tous les commandemens donnés à l’homme par Dieu sont subordonnés aux lois de la nature, dont il est l’auteur. Si, par une opération miraculeuse, l’homme pouvait vivre sans nourriture, nul doute que la terre ne fût rapidement peuplée. Dieu lui-même a mis des règles à la multiplication de l’espèce ; nous devons, en qualité de créatures raisonnables, et pour obéir à sa volonté, nous conduire d’après ces règles. »

Au lieu de se montrer opposé au développement de la population, Malthus montre donc dans quelles conditions ce développement peut se produire. « Supposons, dit-il, qu’on dise à un fermier de garnir sa terre de bestiaux, on lui donnera à coup sûr un fort bon conseil ; mais on entendra évidemment parler de bestiaux sains et en bon état, non de bêtes affamées et maladives, et on ne saurait considérer comme un ennemi de l’accroissement des troupeaux celui qui conseillerait avant tout au fermier de mettre sa terre en état de les nourrir. » Réduite à ces termes, qui sont les seuls vrais, la thèse de Malthus ne soulève aucune objection sérieuse. Il est évident qu’une population plus nombreuse que les moyens de subsistance ne peut être dans un pays qu’une cause d’épidémie et de mortalité. À défaut du bon sens, mille exemples le démontrent. Ce qui importe pardessus tout, c’est la longueur moyenne de la vie ; la densité de la population ne vient qu’après. Toute une science s’est formée depuis Malthus, et sous l’influence de ses principes, pour la comparaison perpétuelle de ces deux élémens. Pour que le développement de la population ne soit pas un mal en soi, il faut qu’il soit proportionné au progrès des subsistances, et le moyen que Malthus propose pour maintenir cette proportion désirable n’est pas moins