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cartouches, ils ont barricadé les portes et fait du château une forteresse. L’ennemi peut Venir maintenant ; les rôles sont assignés, chacun est à son poste. Le siège commence, et les tragiques incidens n’y manquent pas. Malgré la joyeuse et vaillante humeur de M. de Fink, qui a pris le commandement en chef, malgré l’ardeur résolue d’Antoine Wohlfart et le dévouement de leur petite troupe, il y a pour les assiégés des heures terribles, de longues heures pleines d’angoisses. Le combat a duré tout le jour et recommencera le lendemain, pendant qu’une partie de la troupe passe la nuit à surveiller les mouvemens de l’ennemi, les autres essaient de dormir ou prennent soin des blessés. Les femmes, qui ne sont pas soutenues par l’excitation de la poudre, se lamentent dans l’ombre. Lénore, aussi vaillante que M. de Fink, a beau porter partout des consolations et des secours : cette nuit entre deux batailles a quelque chose de lugubre.

C’est au milieu de cette nuit que Wohlfart achève de voir clair dans son âme ; placé en sentinelle, le fusil à la main, sur la tour du château, il pense au rôle étrange qu’un dévouement irréfléchi lui a donné. Il se demande si, en croyant ne se dévouer qu’aux intérêts de Lénore, il n’a pas pensé trop souvent à son intérêt propre, et si, toute rude qu’elle est, la peine qu’il subit n’est pas juste. Ces souffrances toutes morales d’Antoine à travers les périls d’une lutte à mort ont un intérêt poignant. Ce combat invisible au milieu d’un combat à coups de fusil est empreint d’une certaine grandeur. On voit que ces tableaux de bataille ne sont pas un caprice de l’imagination ; l’auteur suit sa pensée ; et la déroule avec une sûreté impitoyable. Remarquez aussi que la lutte des Polonais et des Allemands a un sens manifeste dans l’économie de son livre. de même qu’Antoine Wohlfart et son patron Schroëter représentent l’activité honnête en face de l’oisiveté pernicieuse ou des spéculations insensées de la noblesse, les Polonais en face des colons d’Allemagne, c’est un peuple sans bourgeoisie, sans tiers-état, par conséquent sans moralité et sans force en présence d’une nation complète. La peinture est transportée de la vie intime sur le théâtre de l’histoire. Le baron de Rothsattel, après avoir dédaigné le travail, est amené à faire cause commune avec des coquins ; les gentilshommes polonais dédaignent aussi le travail régulier, et les voilà associés à des bandits. Le tableau est dramatique, original, parfaitement d’accord avec l’inspiration du récit ; est-il juste et vrai au point de vue de l’histoire ? Là-dessus j’ai bien des doutes. Cette peinture, on devait s’y attendre, a produit une vive émotion en Pologne. Tous les journaux de Cracovie ont protesté avec un mélange d’indignation et de douleur contre les accusations du romancier. Or le ton seul de cette