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contre la présence irrégulière de l’escadre dans le port d’Uraga, les objections que son subordonné avait émises la veille, et il insista vivement pour que le commodore reprît au plus tôt le chemin de Nagasaki ; mais on lui signifia nettement que si on n’envoyait pas un personnage d’un rang convenable pour recevoir la lettre adressée à l’empereur, le commodore débarquerait avec ses matelots, et irait lui-même, quelles que pussent être les conséquences, porter cette lettre à Yédo. À cette menace, Yezaïmen ne songea plus qu’à gagner du temps, et il sollicita un délai pour consulter son gouvernement ; . Il demanda quatre jours ; le commodore lui en accorda trois, et il était presque généreux, car il suffisait de quelques heures pour obtenir une réponse de Yédo.

Le gouverneur n’était pas au terme de ses tribulations. Remonté sur le pont du Susquehannah, il aperçut des canots américains disséminés dans toutes les directions pour sonder la baie. Il hasarda une observation en invoquant les défenses édictées par la loi japonaise. — Mais cela est prescrit par les lois américaines, et il faut bien que le commodore obéisse aux lois de son pays, — Le malheureux Yezaïmen, dont la quiétude venait d’être si fatalement troublée par l’arrivée de cette maudite escadre, s’inclina devant l’argument, et les sondages continuèrent de plus belle. Les canots s’approchaient audacieusement du rivage ; les officiers braquaient leurs longues-vues de tous côtés pour découvrir au plus loin les mystères de cette région étrange, qui avait pour leurs regards l’attrait du fruit défendu ; ils contemplaient les forts japonais, armés çà et là de quelques méchans canons dont une seule bordée de frégate eût aisément éteint le feu ; parfois un corps de troupes se rangeait sur la rive et se mettait en bataille comme s’il s’agissait de repousser un débarquement. Les Américains s’amusaient de ces innocentes et inutiles démonstrations. À deux ou trois reprises cependant leur croisière dans la baie faillit être inquiétée par des jonques qui tentaient de se placer en travers et de fermer le passage ; mais ces incidens n’eurent aucune suite, et en peu de jours le commodore, après avoir amplement constaté le droit d’aller et de venir qu’il s’arrogeait dans les eaux japonaises, eut la satisfaction d’apprendre, par les rapports de ses officiers, que la baie d’Uraga offrait un excellent mouillage, et que les navires du plus fort tonnage pouvaient remonter sans péril dans la direction de Yédo.

C’était le 12 juillet qu’expirait le délai de trois jours accordé par le commodore. Les Japonais furent exacts. À dix heures du matin, le gouverneur Yezaïmen se représenta à bord du Susquehannah, où il fut reçu par les capitaines Buchanan et Adams. Les premières paroles échangées révélèrent un malentendu qui s’était produit, lors